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Ben Mahy-ed-Din passa effectivement toute une nuit, garrotté comme un malfaiteur ; mais le lendemain, le Bach'agha Moul-el-Oued plaida sa cause auprès du général français, et obtint qu'il fût mis en liberté. Cet incident, le danger qu'il avait couru, la nécessité de mettre un frein à tant d'audace de la part des factieux, la protection toujours croissante dont le gouvernement français entourait ses agents ; enfin, les anciennes blessures qui lui saignaient encore dans le cœur, déterminèrent Ben Mahy-ed-Din à ne plus différer le grand acte de sa soumission. Précisément, la colonne d'Alger commençait sa marche vers l'est, sous les ordres du lieutenant-général Bugeaud, gouverneur général de l'Algérie.

Ben-Salem s'était mis en devoir d'exécuter le plan dont il avait fait part à Ben Mahy-ed-din. Pendant la nuit, et avec le plus grand mystère, ses richesses furent transportées de Bel-Kraroube chez ses oncles, les deux Bel-Kassem-ou-Kassy. Cependant cette mesure de précaution finit par être ébruitée ; puis elle devint publique et répandit naturellement, parmi les serviteurs de Ben-Salem, la terreur qu'elle trahissait chez lui. Une défection complète en résulta : son maghzen, ses porte-drapeaux et jusqu'à ses musiciens, tout disparut. Alors, n'ayant plus à dissimuler, il envoya sa famille entière rejoindre ses bagages, écrivit aux Aribs, aux Beni-Djâd et aux Nettenems d'émigrer pareillement vers les montagnes, et convoqua de tous côtés les contingents kabyles à la défense du pays. C'était sa dernière ressource.

Ben-Thaleb des Aribs, et Ferrath des Nettenems, vinrent en effet le trouver. Ben-Salem fit présent d'un cheval magnifique au premier, d'une belle jument au second ; mais ne pouvant maîtriser sa défiance, il leur dit : " En cas de combat, ils vous aideront ; en cas de fuite, ils vous sauveront ; en cas de trahison, ce seront d'excellents gâdas. "

Ben-Thaleb répondit : " Nous sommes vos serviteurs et prêts à 

    

 

   
combattre pour vous. Venez au milieu des Aribs, et je jure sur la tête de Rabah, mon aïeul, qu'ils ne vous abandonneront point. "

Ferrath s'avança moins : " Ben-Salem, dit-il, allez soulever les Kabyles ; s'ils se battent, nous nous battrons. Quant à quitter notre pays, nous ne le pouvons pas, à cause des inimitiés qui subsistent entre les Ouled-Dris et nous.

" - Nous ne sommes pas des Turcs, répartit Ben Salem, pour qu'on puisse nous chasser à jamais de nos foyers. Quoi qu'il arrive présentement, nous y reviendrons tôt ou tard ; ainsi, soyons des hommes. " Au milieu de ces discours, on remit une lettre au khalifa ; elle venait de Beni-Djâd et l'informait que l'armée française allait camper au pont de Ben-Hini. Pas un moment n'était à perdre :

" Aribs, s'écria Ben-Salem, dirigez vos familles sur l'Oued-Lekal ; vous, Nettenems, à Hallalla. Moi je vais envoyer mon infanterie chez les Ouled-el-Aziz, tandis que j'irai de ma personne à l'Arbâ des Beni Khalfoua, où j'attendrai vos contingents. Partez et souvenez-vous que l'avenir de votre pays dépend de la conduite que vous allez tenir. "

Personne ne parut au lieu du rendez-vous. Ferrath avait à peu près annoncé le refus des Nettenems à donner le premier exemple. Les Aribs et les Beni Djâd écrivirent qu'ils étaient occupés de faire fuire leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux. Enfin, les Beni-Khalfoun firent plus encore : ils prièrent le khalifa de ne commettre sur leur territoire aucune hostilité contre les chrétiens, ne voulant pas être exposés à leur vengeance.

Ben-Salem, commençant alors à désespérer tout-à-fait, se dirigea vers son âzib qui renfermait des grains et des troupeaux en grande quantité. Il y mit lui même le feu pour en priver les 

 
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