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que les assiégés eussent pu s'y replier. Il avait donc fallu se rendre à merci. Le vainqueur était resté quinze jours sur les lieux, tant pour instituer des chefs que pour rançonner amplement la malheureuse ville. Comme il allait partir dans l'ivresse du succès, on vint tout-à-coup lui apprendre que le fils du roi des Français franchissait les Bibans à la tête d'une armée considérable, et pénétrait sur son territoire.

La nouvelle était vraie. Cette colonne française où se trouvait en effet le prince royal, mais qui avait pour chef réel le maréchal Valée, gouverneur-général ; exécutait alors la reconnaissance entre Constantine et Alger, qui devint si célèbre sous le titre d'expédition des Portes-de-Fer.

Ben-Salem ne sut que penser d'une semblable démonstration en pleine paix ; la vue des chrétiens le troubla : il fit une prompte retraite, et celle-ci dégénéra bientôt en fuite ; car, exaspérés de sa rigueur et le voyant embarrassé, les gens du Ksar s'insurgèrent aussitôt, le poursuivirent, lui tuèrent du monde et lui reprirent à peu près tout ce qu'il leur avait enlevé. Aigri au dernier point par un échec dont la colonne française était la cause bien innocente, le khalifa lança soudain, chez toutes les tribus voisines, l'ordre d'attaquer les chrétiens, ne fût-ce que pour protester. Des Krachnas, des Beni-Khalfoun vinrent, en conséquence, leur tirer quelques coups de fusil aux environs du pont de Ben-Hini. Cet acte insignifiant fut même désapprouvé ; on pensa que Ben-Salem avait pris beaucoup trop sur lui, et qu'il encourrait le blâme du sultan, pour avoir insulté des alliés qui traversaient son territoire sans y causer aucun dommage. Lui-même ne put échapper à ces doutes ; il avait envoyé de suite à son maître un récit complet de l'affaire, et il attendait la réponse dans une anxiété mortelle.

Cette réponse ne tarda point ; on en prévoit le sens ; d'après la grande détermination relatée ci-dessus. Abd-el-Kader s'exprimait de la sorte :

    

 

   
" La rupture vient des chrétiens ! Votre ennemi est devant vous, retroussez comme il faut vos vêtements, et préparez-vous aux combats. De toutes parts le signal de la guerre sainte est donné ; vous êtes l'homme de ces contrées. Je vous ai placé là pour en fermer l'issue.

" Gardez de vous laisser troubler ; serrez votre ceinture et soyez prêt à tout. Grandissez-vous à la hauteur des évènements ; apprenez surtout, la patience ; que les vicissitudes humaines vous trouvent impassible. Ce sont des épreuves : Dieu les envoie ; elles sont attachées au destin de tout bon musulman qui s'engage à mourir pour sa foi.
" La victoire, s'il plaît à Dieu, couronnera notre persévérance. Salut ! 

Pas un mot de reproche, pas la moindre hésitation. Ben-Salem respira.

 

II

 
Abd-el-Kader entama d'une manière éclatante et terrible cette troisième guerre sainte, qui devait être éternelle pour lui, qui devait le conduire, à travers d'étonnantes vicissitudes, à sa ruine complète.

Il était, à dire vrai, bien autrement préparé que les chrétiens. Ceux-ci avaient laissé poindre, dans la Mitidja, une colonisation faible et éparpillée, tandis que leur ennemi pouvait y accumuler en masse, au premier signal, les contingents de ses trois khalifes limitrophes : Ben-Allal débouchant de Miliana, Berkani de Médéah, Ben-Salem de la Kabylie. Mais le tableau de la grande lutte nationale des indigènes de l'Algérie contre la France ne rentre point dans notre cadre ; nous devons ici en supposer connues les phases principales, et n'indiquer qu'un petit nombre de scènes, où les populations de la Grande Kabylie ont occupé le premier plan.

 
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