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Au reçu de la lettre d'Abd-el-Kader, Ben-Salem convoqua tous les chefs placés sous son autorité au camp qu'il allait prendre à Aïoun-Bessem, chez les Aribs.

Les circulaires annonçaient une communication de très-haute importance. En effet il leur dit : " Vous n'êtes plus des Musulmans, vous avez supporté que l'infidèle traversât votre territoire. C'est une honte ! Répondez-moi : Dieu vous a-t-il prescrit de leur obéir ou de les combattre? "

Cette sortie ne tendait à rien moins qu'à proclamer la guerre sainte. Les Ounnoughas, les Ouled-Dris, les Adouras et autres qui, en leur qualité d'Arabes purs, étaient insaisissables, se déclarèrent prêts à tout évènement ; mais il n'en fut pas de même des Aribs, des Beni-Djâd, etc. Ceux-ci s'avouèrent incapables d'engager une pareille lutte, parce qu'ils ne pouvaient ni défendre leur territoire, ni prendre la fuite au besoin. Leurs bêtes de somme n'étaient pas assez nombreuses pour emporter tout ce qu'ils possédaient.

Ben-Salem commença par les gourmander de leurs dispositions tièdes ; ensuite il ajouta : " Vous n'avez rien à craindre des chrétiens ; car vous ne vous lèverez pas seuls contre eux ; c'est le sultan lui-même qui leur déclare la guerre sainte ; et si vous êtes menacés ; il viendra vous secourir avec des troupes régulières. Voici sa lettre ! " Et aussitôt il en donna lecture. Alors toutes les tribus s'écrièrent spontanément : " la guerre sainte ! la guerre sainte !

" - Puisque vous êtes résolus, dit Ben-Salem, regagnez vos villages, prenez-y pour vingt jours de vivres, revenez ensuite me trouver, et préparez-vous au sac de la Mitidja, trop longtemps déshonorée par les adorateurs de la croix. "

Ben-Salem se rendit à Bordj-el-Bouïra, où ses aghas et ses caïds 

    

 

   
devaient lui amener leurs contingents. Aussitôt qu'il se vit en force, il vint camper sur l'Oued-Kaddara ; là, sa marche fut retardée par un message d'Abd-el-Kader, qui lui interdisait de commencer aucun mouvement avant que Ben-Allal et Berkani eussent dessiné le leur du côté de la Chiffa.

Enfin l'armée kabyle distingua, dans l'ouest, la fumée des incendies si impatiemment attendus et elle se précipita de son côté comme un torrent. Elle passait entre les petits postes français sans y faire aucune attention, dévastait par le fer et le feu toutes les habitations européennes, et dans son mouvement rétrograde, balayait devant elle les tribus qui vivaient dans la Mitidja sous notre domination. Pillées, insultées, battues, conduites comme des troupeaux, ne trouvant de commisération nulle part, ce qu'eurent à souffrir ces malheureuses ne saurait être raconté.

Ben-Salem avait envahi la plaine le dernier ; ce fut aussi lui qui l'évacua le dernier. Elle était changée en désert, et, depuis le temps, n'a jamais été repeuplée.

Cette exécution épouvantable avait réussi complète ment au gré des vœux d'Abd-el-Kader, mais elle n'était que le premier article de son programme ; il comptait saccager aussi le Sahel et pénétrer dans Alger même, soit par l'évacuation des chrétiens découragés, soit à la faveur d'une insurrection des habitants. Il avait solennellement fixé le jour où son cheval s'abreuverait à la fontaine de Bab-el-Oued. Pour accomplir de si grandes choses, il lui fallait amonceler à sa suite des populations armées tout entières; celles du Tittery et de l'ouest étaient assez dociles, mais elles ne lui fournissaient qu'une cavalerie peu solide ; son intelligence militaire sentait la nécessité d'y joindre des masses compactes, comme celles de l'infanterie française. Or, la Grande Kabylie renfermait un nombre immense de fantassins renommés dans toute l'Algérie ; il ne s'agissait plus que de les entraîner.

 
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