Pages précédentes LA GRANDE KABYLIE   CHAPITRE SIXIÈME Pages suivantes
  Retour page Table des matières
   
  
Enfin, les communications cessèrent tout-à-fait. Naturellement on s'informa d'abord auprès de Ben-Allal. Des courriers le découvrirent à grand'peine au fond de l'Ouarencenis, et, pour toute réponse, il écrivit : " Nous vivons dans un temps qui ressemble à la fin du monde : chacun doit s'occuper de soi seul et non des autres. Je vous apprendrai cependant que l'émir est dans l'ouest, où il tache de s'opposer aux progrès des chrétiens. "

Peu satisfait du renseignement, Ben-Salem fit partir un homme de confiance pour le camp d'Abd-el Kader même, avec un présent magnifique. Mais l'état de la vallée de Cheliff ne permettant point le passage, le messager crut devoir se confier à Ben-Salem. Celui ci garda le présent et renvoya l'homme à son maître. Cet acte qui fut ébruité porta au comble la fermentation des tribus ; alors les chefs des Beni-Djâd, Ouled Dris, Aribs, Ounnoughas et Ameraouas, déclarèrent qu'ils voulaient eux-mêmes se mettre à la recherche d'Abd-el-Kader dans le Gharb. Ben-Salem fit partir son frère avec eux.

Ces chefs, avec une suite de trois ou quatre cents chevaux, prirent la route du petit désert pour arriver plus sûrement. Ils parvinrent à joindre Abd-el-Kader près du lac Chabounya, lui remirent des présents et l'entretinrent de leur position. L'émir les accueillit avec une affabilité touchante, au milieu des revers qui l'aigrissaient. Après avoir relevé leur courage, raffermi leur religion, il les congédia en les chargeant, pour Ben-Salem, d'une lettre et d'un cheval richement harnaché. La lettre était ainsi conçue :

" Soyez patient pendant l'adversité : c'est elle qui fait connaître les hommes forts. Maintenez vos administrés, aidez-les, secourez-les et mettez-vous toujours à la portée de leur intelligence. Cet état de choses ne peut durer. Sous peu, j'irai vous visiter pour nous entendre sur les meilleures mesures à adopter. En attendant, je vous prie d'accepter le cheval que je 

    

 

   
vous envoie ; je le tiens de Muley-Abd er-Rahman, le grand sultan du Gharb ; il sera pour vous, je l'espère, une bénédiction. "

(1842) - En même temps que ces paroles fortifiantes lui arrivaient, Ben-Salem reçut du hasard un secours bien inattendu. La soumission presqu'entière du Tittery venait de réduire Berkani an rôle d'un fugitif, et il entraînait à sa suite des fantassins réguliers, originaires la plupart de l'est. Aussi, dès que le mouvement de retraite devint trop prononcé, se refusèrent-ils en masse à y participer davantage. Vainement Berkani les harangua, vainement ses femmes se découvrirent la figure et les supplièrent en larmes de ne pas les abandonner : tout échoua contre leur inébranlable résolution, et ils vinrent trouver Ben-Salem. Abd el-Kader, instruit du fait, écrivit aussitôt à ce dernier : "Je rends grâces à Dieu de ce que j'ai, dans chaque province, un flambeau lumineux où viennent se rallier les fidèles. Vous avez reçu les troupes qui ont déserté le khalifa du Tittery, ne leur en témoignez aucun mécontentement. Les temps sont difficiles ; entourez-les, au contraire, des plus grands soins ; tâchez de les préserver de la faim ou de la nudité, etc. "

C'est par de tels moyens qu'Abd-el-Kader sut longtemps conserver une place dans le cœur de ceux mêmes qui avaient le plus souffert pour sa cause.

Ben-Salem était donc à la tête d'une infanterie et d'une cavalerie régulières ; le récent voyage des chefs améliorait leurs intentions à son égard ; de plus, Abd-el-Kader avait imaginé de se faire, en quelque sorte, représenter dans l'est par son premier secrétaire, Sid El-Hadj-Mohammed-Bel-Kreroubi, personnage très vénéré. Par ces divers motifs, la lutte contre les chrétiens reprit une certaine vigueur. Ben-Salem fit des apparitions rapides dans la plaine à la tête de ses cavaliers : l'une d'elles est restée fameuse par l'attaque, entre Boufarick et Blida, d'un petit détachement de correspondance dont le monument de Méred éternise la défense héroïque.

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes