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ceux qui tout à l'heure demandaient la tête de Ben Mahy-ed-Din, se précipitèrent pour lui baiser les pieds et les mains ; tous implorant sa protection, celui-ci pour une place, celui-là pour un burnous d'investiture: les injures s'étaient changées en sollicitations.

Ben Mahy-ed-Din accueillit les prières comme il avait reçu les menaces.

Et dès le lendemain, pour prouver quel était son ascendant sur ses nouveaux sujets, il offrit de faire conduire de Bordj-el-Arib à Alger (55 lieues) un convoi de 405 malades ou blessés. Il en répondait, disait-il, sur sa tête.

Le convoi partit en effet, escorté d'une douzaine de cavaliers seulement sous les ordres de Sid-Mahfoud, frère de Ben Mahy-ed-Din ; et non seulement il traversa sans accident les tribus en pleine révolte la veille, mais il longea toute la tribu des Beni-Djâd, celle même où Ben-Salem était né. Le temps était affreux, le pays presque impraticable ; mais sur la route, des Arabes, la pioche en main, frayaient des passages, et à toutes les haltes les plus voisins apportaient la diffa.

Cependant la colonne avait continué sa marche. Campé le 7 à Bordj-el-Arib, le Gouverneur-Général, après avoir également ruiné ce fort, reçut la soumission et les gâdas de la forte tribu des Aribs. Le 10, on passa la nuit autour de Bordj-Hamza.

Précisément en face, dans une des vallées rapide où le grand pic du Jurjura déverse ses eaux pluviales on voyait la tribu des Ouled-el-Aziz, connue pour avoir pris une part active à l'affaire du 5 octobre, et qui, faute de surveillance, se trouvait tout entière entre nos mains. Une vingtaine de villages qu'on avait sous les yeux, regorgeaient de population et de troupeaux. 

    

 

   
Les chefs vinrent solliciter l'aman ; ils l'obtinrent moyennant une contribution de 6,000 boudjous et de 600 fusils.

Sur ces entrefaites, les Beni-Ismaël, voisins des Ouled-el-Aziz, arrivaient franchement à leur secours. On les laissa s'engager peu à peu en terrain découvert ; alors ils furent balayés par une charge de notre infanterie et du goum qui, pour être entré depuis si peu de temps sous notre drapeau, n'en montra pas moins de détermination.

Chose étrange ! Cette escarmouche et cette soumission se passaient en présence d'un rassemblement très considérable de Kabyles. Ben-Salem les avait attirés en écrivant partout qu'il venait de remporter, au bord de l'Oued-Soufflat, un avantage marqué sur les chrétiens, et qu'il leur avait tué un colonel. Six mille montagnards étaient venus, mais ils avaient bientôt appris la vérité, et la belle tenue du camp français leur imposait beaucoup. Une partie se retira, l'autre se tint en observation sur les gradins supérieurs des Nezlyouas, sans que Ben-Salem pût obtenir aucun mouvement agressif de sa part. Les montagnards se refusaient à descendre, sous prétexte qu'ils ne possédaient absolument aucune cavalerie ; ils prétendaient vouloir remettre leur attaque au moment où l'ennemi s'engagerait dans les défilés des Krachnas. Pour s'assurer de leurs sentiments, Ben-Salem demanda le meïz (1), et ils l'exécutèrent.

Toutefois, l'intention du général français n'était pas de patienter si longtemps avec eux. Résolu de les dissiper, pour qu'aucun doute ne planât sur ses opérations, il se porta de leur côté par un détour exécuté dans le brouillard, et occupa soudain un contrefort du mont Sidi-Rahmoun, où ils étaient massés. Son approche fut saluée par des vociférations formidables, mais aucun acte d'hostilité ne s'en suivit.

 

(1) El meïz : la décision. Se reporter au chapitre Il.

 
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