" - Où voulez-vous que
j'aille ? demanda Ben-Salem.
" - A Oued-Cheyta ! lui fut-il répondu. "
Oued-Cheyta se trouve aux confins des Mâtekas et des
Flissas ; c'est un lieu sauvage, boisé, que hantent les
malfaiteurs et les bêtes féroces. Ben-Salem s'y rendit ; il
mit de suite à profit la vénération qu'inspirait son
caractère de marabout, pour pacifier les Flissas et les
Mâtekas, dont les hostilités avaient pour théâtre habituel
cette lisière redoutable. Quelle fut la récompense de ce
bienfait ? On lui vola toutes ses mules et il les racheta fort
cher chez l'oukaf (1) du pays. " Quand ils
étaient en guerre, dit le malheureux khalifa, chacun des deux
partis me respectait dans la crainte de me faire prononcer
contre lui. Aujourd'hui que j'ai rétabli la paix entre eux,
ils s'unissent pour me dépouiller.
Cependant Ben-Salem n'était pas encore au bout de ses
ressources. Pendant ces trois dernières années, il avait
recueilli les impôts sans en faire part à l'émir. Des
sommes importantes se trouvaient de la sorte entre ses mains ;
en outre, il avait évacué de Bel-Kraroube et déposé au
Jurjura, chez l'Oukil de la chambre du marabout (bit
Sidi ben-Abd-er-Rahman), les approvisionnements suivants :
trente charges de poudre, trente mille balles de plomb, trente
sacs de grenaille, dix sacs de pierres à fusil, trente
tentes, cinq cents fusils, trente quintaux de biscuit, trois
cents habillements de fantassin, et quelques objets
accessoires. Rien ne lui manquait donc pour reprendre, du jour
au lendemain, l'attitude d'un khalifa : les circonstances lui
permirent d'espérer un moment ce retour de fortune.
Le duc d'Aumale commandait alors la subdivision de Médéah
; il était sorti du chef-lieu avec une colonne assez faible :
la neige et le froid l'avaient fort gêné dans sa marche.
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