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Néanmoins, se trouvant en présence des Nezlyouas, il voulait les châtier ou les soumettre. Ceux-ci, de leur côté, avaient publié hautement qu'ils mourraient plutôt que d'offrir des gâdas aux chrétiens.

Aussitôt Ben-Salem lança dans toutes les montagnes des circulaires ainsi conçues : " Dieu fait tomber une proie facile entre vos mains. Les Français sont en petit nombre ; ils ont déjà souffert beaucoup des rigueurs de la saison ; vous pouvez les anéantir. Telle est leur faiblesse qu'ils ont mis trois jours à incendier les Nezlyouas, que j'aurais pu brûler en vingt-quatre heures avec le reste de mes réguliers. Réunissez-vous donc et venez leur livrer un combat qui les écarte à jamais de vos montagnes. Si vous attendez, au contraire, leur arrivée au milieu de vous, l'heure de la résistance sera passée : chacun ne songera plus qu'à mettre en sûreté sa femme, ses enfants et ses biens.

" Vous le savez, Kabyles, aucun intérêt personnel ne peut me dicter ces paroles ; ma demeure est détruite, mes serviteurs ont été dispersés, je suis un exilé au milieu de vous. J'ai renoncé à tous les biens du monde ; je vous apporte seulement de bons conseils en paiement de l'hospitalité. "

Les tribus, en lisant cette lettre, voyaient monter au loin les fumées de l'incendie allumé chez les Nezlyouas ; elles s'émurent. Une levée générale eut lieu et se propagea de proche en proche ; il y figura même des tribus qui connaissaient à peine les Nezlyouas de nom. A cette nouvelle, le cœur de Ben-Salem bondit de joie ; il espéra venger tous ses revers. Mais à peine fut-il au milieu du rassemblement, qu'il en vit avec désespoir tous les germes de dissolution. C'étaient des chefs jaloux qui ne voulaient point obéir les uns aux autres, c'étaient des tribus ennemies qui se suspectaient mutuellement de trahison, ou craignaient de s'affaiblir inégalement dans un combat contre les chrétiens. Bientôt on apprit que ces derniers ne voulaient pas pousser plus 

    

 

   
loin leur entreprise, et paraissaient se replier sur Médéah ; les défections commencèrent de suite.

Cependant Ben-Salem, à force de s'agiter, parvint à obtenir la promesse formelle qu'un certain nombre de guerriers de chaque tribu se réuniraient sous ses ordres pour diriger une attaque de nuit contre le camp français. La nuit vint ; elle était sombre et pluvieuse : les Kabyles en tiraient un prétexte pour ne point sortir ; Ben-Salem soutenait, au contraire, que la surprise en réussirait mieux ; il courait d'un guerrier à l'autre, exhortant, suppliant et forçant chacun à marcher.
Vers une heure du matin, mille hommes à peine étaient en route ; il n'en résolut pas moins de partir, espérant que la fusillade attirerait les autres. Arrivé à une demi-lieue du camp, il veut coordonner son monde et préciser l'opération : quelle n'est pas sa sur prise ! Il ne trouve derrière lui qu'une centaine de Kabyles tout au plus ; les autres se sont esquivés en route. La fureur le transporte, il lance son cheval au galop pour ramener quelques groupes de déserteurs qu'il aperçoit encore ; mais les terrains, défoncés, détrempés par de longues pluies, sont transformés çà et là en bourbiers profonds : Ben-Salem est précipité par son cheval dans une mare épaisse, où certainement il eût péri sans quelques serviteurs dévoués, qui se précipitèrent à son secours. On le retire, on le place avec soin sur un mulet ; on lui enveloppe la tête horriblement contusionnée, et, dans ce triste état , on le ramène au camp des Kabyles.

Aussitôt, la foule l'entoure ; il se dresse énergiquement et lui dit : " J'avais l'intention de vous conduire au bien ; mais je le jure, par Dieu tout-puissant, c'est contre vous qu'on devrait commencer la guerre sainte ; car vous êtes pires que les chrétiens. Les chrétiens ! j'irai les trouver et me mettre à leur tête, je leur demanderai de me donner une armée moindre que celle-ci, je viendrai par une nuit pluvieuse, et je vous écraserai tous ! " Puis, se reprenant tout-à-coup : " Pardonnez-moi, mon Dieu, ce que je viens de dire. Ils sont assez punis, 

 
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