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lettre revêtue du sceau royal, nous la classerons avec les précédentes, et aussi nous continuerons le commerce, nous maintiendrons la sécurité des routes, comme nous l'avons fait depuis votre avertissement. Mais vous nous prescrivez de chasser Ben-Salem ; comment pourrions-nous y consentir, puisqu'il est musulman ainsi que nous ? Que répondriez-vous à qui vous demanderait d'exiler un des vôtres?

Si au contraire, votre dessein formel est de posséder toute l'Algérie, si vous mettez votre ambition à conquérir des gens qui ont pour refuge des montagnes et des rochers, nous vous dirons : la main de Dieu est plus élevée que la vôtre.

Sachez que la perte et le gain nous sont indifférents ; nous avons toujours eu pour habitude de braver l'exil ou la mort, par suite des guerres civils ou à cause des émirs. Nos montagnes sont spacieuses, elles forment une chaîne qui d'ici s'étend à Tunis. Si nous ne pouvons pas vous résister, nous reculerons de proche en proche jusqu'à ce pays étranger, dont le chef, que Dieu l'aide, est en état de lever des troupes ; celles qu'il a, sont presque toutes composées des nôtres : à leur exemple, nous nous inscrirons soldats (1).

Ne pensez pas non plus que la perte de nos récoltes ou de nos arbres puisse nous mettre à votre merci. Nos récoltes sont le plus souvent la proie des sauterelles ou périssent sous des éboulements, et néanmoins nous vivons.
Souvent aussi, nos arbres se dessèchent et ne produisent pas plus que s'ils étaient coupés ; maintes fois encore nos tribus se ravagent entre elles. Dieu nous donne la nourriture.

 

(1) Celle idée de l'engagement militaire, en désespoir de cause, est très-commune chez les Kabyles. On peut croire que nos premiers zouaves furent en grande partie recrutés parmi leurs compatriotes, toujours très-nombreux à Alger, puisque zouave a pour étymologie zouaoua.

    

 

   

Ne prêtez donc pas l'oreille aux discours des hommes de rien, qui vous disent : les Kabyles se rendront si vous menacez leurs biens. Vous êtes le représentant d'un grand roi, tenez à vos premiers engagements et le mal n'existera point entre nous.

Dans tous les cas, faites-nous promptement connaître ce que vous aurez décidé, nous agirons en conséquence, suivant la volonté de Dieu.

Écrit par toute la tribu des Flissas : marabouts, cheikhs, et gens du peuple.

 

 
21 avril 1844.
 
De la part de M. le Maréchal, Gouverneur-Général de l'Algérie, à tous les Kabyles de l'Est, mais principalement aux Flissas, grands et petits, marabouts et cultivateurs. Que le salut, soit sur vous et que Dieu vous dirige dans la voie droite!

Nous avons reçu votre lettre, nous l'avons lue avec attention, nous en avons parfaitement compris le contenu. Vous dites que vous possédez tous les écrits qui vous ont été adressés par les chefs français depuis leur entrée à Alger, et que tous réclamaient seulement votre neutralité, les bonnes relations et le commerce.

Pourquoi donc, ô Kabyles, sans aucune provocation de notre part, avez-vous commencé la guerre contre nous ? Pouvez-vous nier d'être sortis de vos montagnes, dès les premiers temps, pour nous attaquer dans la plaine jusque sur l'Oued-Kerma, et même derrière les murs de Blida ? Plus tard, quand éclatèrent les grandes hostilités entre nous et Abd-el-Kader, n'avez-vous pas embrassé la cause de celui-ci à la face du ciel ? N'avez- vous point pris part au pillage et à l'incendie de la Mitidja ? 

 
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