N'êtes-vous pas venus guerroyer jusque
dans le Sahel ? N'avez-vous point dirigé vos attaques sur
Bordj el-Harrach (1)? N'est-ce pas sous ses murs qu'a péri,
tué par un boulet, votre chef Si Haoussein-ben-Zamoun, qui
vous menait au combat contre nous, comme son père l'avait
fait avant lui ? Pouvez-vous contester un mot de tout cela ?
J'arrive à une époque plus rapprochée :
quand je fus amené sur les confins de votre territoire par la
nécessité d'y atteindre le khalifa de notre ennemi
déclaré, qui lui-même ne cessait de prêcher et d'organiser
la guerre contre nous, quand je vins attaquer Ben-Salem et
détruire son fort de Bel-Kraroube, je vous écrivis en effet.
Que vous disais-je alors ?
Je vous proposais d'oublier tous mes griefs
accumulés, à condition que vous abandonneriez la cause de
l'émir et de son khalifa, que vous assureriez les relations
commerciales et la liberté du transit. L'avez vous fait ?
Comment avez-vous tenu les conditions de mon aman?
Vous avez amené vos contingents à
Ben-Salem : ils ont marché sous son drapeau, ils m'ont
attaqué le premier dans l'0ued-Soufflat ; j'ai dû les
dissiper sur le Djebel-Rahmoun, d'où ils me menaçaient
encore.
Ben-Salem était réduit à la condition
d'un simple fugitif : vous dites que la religion vous
prescrivait de lui donner l'hospitalité. Je sais qu'en pays
musulman, comme en tout autre, il suffit d'accorder à l'homme
de discorde un asile momentané et un libre passage pour
s'être acquitté largement du devoir de l'hospitalité.
D'ailleurs, si vous n'eussiez attribué à Ben-Salem que
l'importance d'un réfugié vulgaire, si vous l'eussiez fait
retomber dans l'ombre, dans l'impuissance et dans l'oubli,
peut-être
(1) Bordj-el-Harrach : le fort de
l'Harrach ; la Maison-Carrée.
aurais-je pu fermer les yeux. Mais il vient
au milieu de vous, il plante son drapeau et vous vous rangez
à l'entour. N'avons-nous pas eu lieu d'en être doublement
surpris de votre part, sachant vos prétentions à ne
reconnaître aucun sultan ? Adopter le khalifa d'Abd-el-Kader,
n'était-ce pas reconnaître l'émir ?
Ce n'est pas tout. Qu'avez-vous fait pour
le transit et les relations commerciales? Si vous ne vous en
êtes pas mêlés directement, vous avez toutefois permis que
les cavaliers de Ben-Salem exerçassent la police de vos
routes, pour enlever, pour maltraiter et dépouiller quiconque
se rendait sur nos marchés. Lui ou vous, avez recueilli les
assassins, les voleurs et les intrigants qui fuyaient devant
nous le règne de la loi ; et l'on aurait pu croire que tous
les démons de la discorde s'étaient retirés. dans vos
montagnes.
Enfin, dans l'état actuel des choses ;
Ben-Salem a chez vous les débris de ses cavaliers, de ses
fantassins, de ses approvisionnements militaires ; il
s'intitule votre chef dans sa correspondance, et vous prouvez
vous mêmes la vérité de ce langage en vous rendant à ses
convocations et en prêtant l'oreille à ses pernicieux
conseils.
O Kabyles, vous ne pouvez rien répondre à
tout ce qui précède. Sachez-le-bien : le Roi des Français
ne commet aucune injustice ; il ne châtie que des coupables.
Vous l'êtes envers nous ; vous l'êtes depuis longtemps et de
toutes les manières sans en avoir jamais reçu aucun sujet.
Vous avez fermé les oreilles à toutes nos propositions
conciliantes et nous ne pouvons plus nous fier sur la
persuasion pour vous les faire admettre : nous prenons le
parti de vous les imposer par la force.
Hâtez-vous donc de vous soumettre et de venir à mon camp, si
vous voulez éviter bien des maux dont je ne serai pas
responsable devant Dieu, après vous avoir prodigué tant de
fois mes avertissements.