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on l'a pu voir, suspectèrent immédiatement la bonne foi de Ben-Salem. Ils devinaient les regrets amers qu'éprouvait l'ancien khalifa dans son exil au sein de leurs montagnes ; on venait d'apprendre que le plus courageux de ses collègues, Ben-Allal, avait péri avec son bataillon tout entier, sous les coups des chrétiens, et cet exemple semblait conseiller à celui-ci le parti de la soumission. N'y songeait-il pas en effet ? L'évasion du fils n'était-elle pas une feinte tramée de connivence avec le père pour traiter en secret de son aman ? Tels étaient les soupçons des Kabyles, et ils s'indignaient en même temps de ce que Ben-Salem, après les avoir tant de fois soulevés contre les chrétiens et si fort compromis dans la défense de sa propre cause, songeât à les abandonner le jour où ils allaient enfin combattre pour l'indépendance des montagnes.

En tous cas ces reproches, dont il n'a pas été possible d'apprécier la juste valeur, fermèrent toute retraite à Ben-Salem. Captif, pour ainsi dire, au milieu de ceux qui l'avaient accepté comme chef, il repoussa, par les plus énergiques désaveux, par les plus violentes imprécations, ces doutes que faisaient rejaillir sur lui l'évasion de son fils. On en trouve à chaque pas des traces remarquables dans la correspondance de ses frères, Omar et Zeïd. Plusieurs de ces passages sont de nature à jeter quelque intérêt sur le drame domestique qui, d'une manière ou d'une autre, a dû faire saigner bien vivement le cœur de Ben-Salem.

" Ce jeune homme avait pris la fuite pour Alger, afin de se mettre sous la protection des Français qu'il croyait incapables de trahir. Nous fûmes d'abord satisfaits de cela, car c'était un motif pour nous de l'imiter plus tard. Mais tout-à-coup les chrétiens réduisent ce jeune homme en esclavage ; ils l'envoient en France (1). Nous avons alors reconnu que nous ne pouvions aller à eux, de peur d'être trahis pareillement. "

 

(1) On trouve exprimé là ce bizarre. préjugé des indigènes, qui considèrent avec horreur l'envoi en France, dans quelque condition que ce puisse être.

    

 

   
....... Vous dites que ce jeune homme sera rendu aussitôt que nous viendrons nous-mêmes, et qu'il se trouve en France avec le fils de Ben-Allal. Oui, tous deux sont livrés à l'impiété. Louange à Dieu de cela ! un seul vaut mieux que tous. Que celui-là vive jusqu'à sa mort entre les mains de l'infidèle. Son absence ne fait pas un vide sensible au milieu de la famille, et elle sert de leçon à tous. "

....... Comment est-il possible que vous ayez confiance dans le chrétien ? Un jeune enfant se réfugie chez lui dans le désir d'échapper à l'école et de se livrer à ses goûts ; il en fait un prisonnier. Dieu lui-même a conduit cet évènement. L'étourdi s'en fuyait pour avoir le plaisir de monter à cheval, et on lui donne pour cheval un bâtiment qu'il monte tout en pleurs ; il a fui la lecture du Koran, on lui fait lire l'Évangile. Ne parlez plus de cet enfant, n'y pensez plus, faites comme s'il était mort. Il l'est réellement pour nous. Lorsqu'il se trouvait à Alger, nous étions malades de dépit. Chacun disait : Ben-Salem a envoyé son fils à Alger afin de négocier l'aman ; et Ben-Salem avait beau protester, on ne le croyait pas. Mais à la nouvelle de cette déportation, on est venu de tous côtés dire à mon frère : Pardonnez-nous, seigneur, nous avons douté de vous. Et lui a répondu : Maintenant, qu'il est loin d'ici, mon âme est soulagée de ses souffrances. Nos ancêtres ont traversé de semblables épreuves pour la foi. "

........ Lorsque son fils prit la fuite, tous les musulmans supposèrent que cela s'était fait par son ordre, et il en eut le cœur blessé. Après l'envoi du fugitif en France, il leur dit : Voyez, hommes légers, comment sont traités ceux qui se rendent aux infidèles. Mon fils est un fou, il s'est laissé séduire par le démon, et Dieu l'a puni. N'ayez donc aucune confiance dans la parole des impies.

....... Quant à mon neveu, employez tout votre crédit pour le

 
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