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faire envoyer à la Mecque, attendu que s'il revient ici, rien ne pourra le dérober à la fureur de son père. Celui-ci avait donné de l'argent pour le faire assassiner, pendant son séjour à Alger, fût-ce même dans les cafés, parce qu'il avait déshonoré une famille jusque-là sans tache. "
 

II.

 
Au commencement de l'année 1844, l'invasion en Kabylie prit un nouveau degré de vraisemblance. L'époque du printemps, que nous consacrons de préférence, et qui convient en effet le mieux aux opérations militaires en Afrique, s'approchait sans que l'on pût découvrir aucun point qui appelât nos armes de préférence à la Grande-Kabylie.

L'agitation de cette contrée, à l'époque dont nous parlons, se trouve décrite dans le récit suivant d'un de nos cadis qui, pour affaire de famille, la parcourut alors en entier. Bien que l'incident domestique y occupe le premier plan et relègue tout-à-fait en seconde ligne l'exposé politique, ils nous paraissent offrir, chacun dans leur genre, un intérêt assez piquant pour ne pas être séparés :

Il y a six ans, un Dérouïche de Méquinez arriva chez les Abides ; il mendiait de tente en tente, et gagnait quelque argent en faisant des djedouals (amulettes). J'eus pitié de sa misère, et voyant du reste qu'il savait assez bien ses livres saints, je le recueillis dans ma zaouïa , où je l'employais à faire lire les petits garçons, quand mes fonctions de cadi m'obligeaient de m'absenter. Cet homme, fort pieux, semblait avoir renoncé complètement à sa vie errante ; il ne se passait pas de jour qu'il ne me remerciât de mes bienfaits ; je m'attachai à lui, et après quatre années d'épreuves, je lui donnai ma fille, mon unique enfant. El-Hadj-Ahmet ayant eu un enfant de ma fille, devint mon enfant je n'eus plus rien de caché pour lui, il savait, où j'avais enterré mon argent.

    

 

   

Quand je me trouvai chez les Douairs pour juger l'affaire qui m'a fait encourir votre colère, mon gendre m'a enlevé : tout mon trésor, 700 boudjous, mes pistolets garnis en argent, mon fusil et mes livres saints ; puis, montant sur ma mule, il a quitté ma fille et son enfant. Je n'ai appris mon malheur que lorsque je suis rentré sous ma tente ; je me suis rappelé alors que mon gendre n'avait ni patrie, ni parents, ni amis, et j'ai perdu l'espoir de jamais le retrouver. Ma douleur fut si grande que je ne pus rester chez moi; je vins à Médéab , chez un de mes amis. J'appris de lui que mon gendre était passé dans la ville, en disant qu'il se rendait, par mon ordre, à Alger pour y faire des achats. Je me décidai, sur ce renseignement, à me mettre à la poursuite de mon voleur. Arrivé à Blidah, j'eus encore de ses nouvelles, et je sus qu'il avait pris la direction de l'est. Je remis mon cheval à un ami, et j'entrepris seul et à pied la recherche d'El-Hadj-Ahmet.

Je quittai Blidah pour me rendre chez les Krachnas ; je fus à leur marché du Khamis ; la paix et la tranquillité y régnaient ; des cavaliers du colonel Daumas circulaient dans le pays à la recherche de quelques voleurs. Chacun rendait hommage à la sollicitude avec laquelle le Maréchal veille dans l'intérieur des tribus aux intérêts et aux droits de tous. Les Krachnas sont heureux, ils ont ensemencé beaucoup et songent aux profits assurés de leurs récoltes. Les Krachnas ne pouvant me donner aucune nouvelle de mon gendre, je les quittai pour me rendre au marché du Djemmâ, des Issers. La nouvelle du marché était l'arrivée prochaine de l'armée ; j'appris des lssers qu'ils étaient aussi serviteurs des Français et qu'ils les attendaient avec impatience pour jouir enfin de la tranquillité que le Maréchal avait su donner à toutes les tribus soumises à son autorité, et pour voir cesser les inquiétudes que leur inspirent les projets de razzia de Ben-Salem et des Kabyles sur leur pays, principalement sur leur marché. Les Issers sont en relation constante avec le colonel Daumas ; ils fréquentent habituellement le marché d'Alger : ce sont là les griefs que les Kabyles ont contre eux.

 
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