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Bou-Charib obtint de Bel-Kassem-ou-Kassy une lettre qui devait me faire protéger dans mes recherches chez les Beni-Raten. Je quittai El-Sebt sans nouvelles de mon gendre, et j'entrai chez les Beni-Raten. J'attendis deux jours chez des marabouts de cette tribu leur jour de marché. Les Beni-Raten habitent un pays difficile ; ils sont riches en hommes, en armes et en munitions. Fiers et jaloux de la vieille indépendance de leur pays, ils sont décidés à la défendre. Ma qualité d'Arabe serviteur des Français, ne m'a pas cependant nui à leurs yeux ; j'ai été nourri et aidé par tout le monde. Ne trouvant pas mon gendre, je quittai cette tribu en me dirigeant vers l'est.

Le pays des Kabyles est funeste à quiconque s'y engage sans un homme du pays comme sauvegarde. Cet homme, donné à l'étranger qui voyage chez les Kabyles, porte le nom d'anaya. Tout l'amour-propre d'une tribu est mis à ce que sa protection, qu'elle confie à l'anaya, ne soit jamais violée ; le devoir de l'anaya est de mourir avec l'homme qu'il est chargé de protéger, et la tribu perd son honneur jusqu'à ce qu'elle ait vengé les affronts qu'il peut avoir reçus. Accompagné de l'anaya des Beni-Raten, je parvins chez les Beni-Bou-Yousouf, que je trouvai comme leurs voisins, décidés à défendre par la poudre leur indépendance. Je fus au marché de Djemâa-Saridje,qui est au pied du pays des Beni-Bou-Yousouf. J'y appris qu'un étranger était passé récemment dans leur pays, se dirigeant vers l'est. Sur cette nouvelle, je me remis immédiatement en route.

Je passai chez les Beni-Menguelat ; j'eus occasion d'y voir leur djemmà réunie ; elle s'occupait des moyens de s'approvisionner de grains pour ne plus avoir à souffrir de la présence de l'armée dans le pays. De chez les Ouled-Menguelat, je me rendis, avec un anaya de la tribu, chez les marabouts de Sidi-Abd er-Rahman.

Ces marabouts d'une grande sainteté, sont choisis d'ordinaire par toutes les tribus voisines comme arbitres dans les affaires qui les divisent ; leur jugement est toujours accepté par elles comme

    

 

   
le jugement de Dieu, et elles s'y conforment avec une grande religion. Je vis parmi eux un vieillard nommé Bel-Kharet qui passe pour l'homme le plus instruit de toutes ces montagnes ; il lit et comprend dans tous les livres. J'arrivai chez les marabouts de Sidi Abd-er-Rahman, découragé de l'insuccès de mes recherches et fatigué de mes longues marches ; mais leur ayant expliqué le but de mon voyage, ils me dirent que la veille était passé chez eux un taleb venant du Gharb et se rendant chez les Tolba-ben Dris (1). L'espérance me revint, et je partis avec un anaya des marabouts pour le pays des Tolba-ben-Dris. A mon arrivée chez eux, j'appris qu'un étranger instruit, venant du Gharb, émer veillait les tolbas de ses récits sur Mouley Abd-er-Rahman et les chrétiens, et que, depuis deux jours, ils s'étaient réunis dans leur zaouïa et leur faisaient fête. Je ressentis en moi un sentiment de joie qui m'annonçait que je touchais au terme de mon voyage. J'indiquai à mon anaya un signe auquel il reconnaitraît si cet étran ger était réellement mon gendre. EI-Hadj-Ahmet avait eu dans sa jeunesse le bout du nez coupé. L'anaya entra dans la zaouïa, me laissant à la porte ; il salua l'assemblée, et, au signe que je lui avais donné, il reconnut mon gendre assis au milieu des tolbas.

Il pria alors le cheikh de sortir, en lui disant qu'un étranger qu'il conduisait désirait lui parler. Le cheikh sortit, m'écouta et entra dans la zaouïa sans me répondre une parole. Après avoir repris sa place, le cheikh demanda à EI-Hadj-Ahmet s'il n'avait pas un beau-père nommé El-Hadj-Aly, et qui était cadi chez les Abides. Mon gendre se troubla à cette question qui lui était faite si loin de son pays, et baissa la tête sans rien répondre.

 

(1) Le petit état ou village en question, n'est évidemment autre chose qu'une zaouïa souveraine. II s'agit, selon toute apparence, de la zaouïa de Sidi-Ahmet-ben-Dris, chez les Ayt-Iboura, que nous avons citée comme une des plus considérables. Le narrateur va confirmer tout ce qui a été dit plus haut de l'indépendance des zaouïas, du caractère élevé de leurs chefs, et des désordres qu'exercent souvent, aux environs, quelques-uns uns de leurs membres.

 
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