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Dans la guerre de montagnes, non seulement le principal rôle appartient à l'infanterie, mais encore l'art suprême, pour l'artillerie et la cavalerie, consiste à trouver le moyen d'y jouer un rôle. C'est à quoi ces deux armes réussirent de façon à ce que la guerre d'Afrique puisse être considérée comme faisant époque dans l'histoire des sciences militaires.

L'artillerie transporta ses effets dans des régions où ils paraissaient impossibles. La batterie portative, ébauchée seulement en Espagne, atteignit en Afrique une véritable perfection. L'obusier de 12 ou le mortier à main compose le chargement d'un mulet ; l'affût, celui d'un second ; toutes les autres bêtes de somme transportent chacune seize coups pour les bouches à feu, ou environ deux mille cartouches d'infanterie ; par conséquent cinquante mulets suffisent au service d'une section de deux pièces, approvisionnée à cent coups chaque, et d'une réserve de soixante mille cartouches.

Sous un autre point de vue, celui de l'armement des troupes, l'artillerie a fait plus encore en perfectionnant, à un point incroyable, l'arme à feu portative : la transformation de batterie et l'alèzement du fusil ordinaire, la création des différents modèles de carabines ; enfin, l'invention des tiges et de la balle oblongue assurent désormais, aux feux de l'infanterie, une justesse, une portée qui en étendront singulièrement les propriétés et l'emploi.

Nos escadrons d'Afrique, lourds, empruntés dans le principe, ont fini par devenir le type le plus parfait d'une cavalerie légère. Adoptant le cheval arabe et imitant le cavalier arabe, ils suivent maintenant l'infante rie partout ; ils exécutent une charge sur des terrains que leurs prédécesseurs eussent refusé de traverser au pas. Forts du maniement de l'arme blanche que l'ennemi ne peut leur opposer, ils fondent sur les goums arabes, sans se compter et sans les compter.

    

 

   
La guerre d'Afrique a développé au plus haut point, dans notre infanterie, une de ses qualités natives. Chaque soldat y est devenu tirailleur consommé : le coup d'œil du terrain, l'emploi des ruses, l'art de s'embusquer, rien ne lui manque.

En masse, cette infanterie comprend si bien la puissance de l'élan, que toutes ses manœuvres d'attaque s'exécutent spontanément, au pas de course et l'arme au bras, sous le feu de l'ennemi. Ses officiers ont plus de peine à la contenir qu'à l'entraîner. Si, pendant ces dernières années, elle a quelquefois essuyé des pertes inutiles, la cause en a toujours été l'exagération de son offensive.

Les services accessoires de l'armée, l'ambulance, l'administration des vivres, ont atteint un degré de perfection tel, que des colonnes, obligées de traîner à leur suite de quoi satisfaire absolument à tous les besoins de la vie, ont pu donner la chasse aux légers goums d'Abd-el-Kader et les surprendre quelquefois.

Le général en chef de cette armée avait apporté en Afrique, non pas des principes nouveaux, mais une application véritable, complète, des principes éternels de la guerre, fondés sur la raison et sur l'expérience des siècles. Ses préceptes sans cesse propagés par sa parole, sans cesse justifiés par l'application, se popularisèrent peu à peu dans tous les rangs de l'armée, et produisirent une confiance réciproque, aussi inébranlable que les convictions qui lui servaient de base.

Rien ne sert mieux les intérêts de la patrie qu'un long rapprochement du même chef et de la même troupe. Grâce à ce contact prolongé, le génie de l'un assouplit les instincts de l'autre : il les dirige, les régularise et s'y retrempe en même temps. Tous deux réalisent alors la plus grande masse d'effet utile, permise aux qualités que leur a départies la nature.

 
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