Pages précédentes LA GRANDE KABYLIE   CHAPITRE NEUVIÈME Pages suivantes
  Retour page Table des matières
   
  

 

II.

 
En 1844, la saison des pluies, qui se termine ordinairement aux premiers jours du mois d'avril, dépassa de beaucoup toutes les prévisions. Plusieurs contrordres avaient retardé le départ, malgré l'augmentation de dépenses qui en résultait à cause des moyens de transport déjà sur pied. Enfin, le jour du rassemble ment fut fixé d'une manière définitive, et le 26 avril, huit mille hommes de toutes armes campaient sous la Maison-Carrée.

Ces sortes de départs ont ordinairement l'aspect d'une fête. Pendant tout le jour, il vint de la capitale au camp qui n'en est éloigné que de quatre lieues, de nombreuses voitures et de nombreuses cavalcades. Des dames, des fonctionnaires de l'ordre civil, des colons, des officiers qui, moins heureux que leurs camarades, ne prenaient point part à l'expédition : tout ce monde animait le bivouac par sa curiosité, sa physionomie disparate et ses adieux.

La colonne expéditionnaire rencontra plus d'une difficulté dans sa marche, ayant à traverser des terrains détrempés par les pluies récentes. On fit des journées courtes, à cause du convoi qui ne laissait pas d'être considérable, quoique le Maréchal eût déjà résolu de prendre sur la mer sa base d'opérations. On campa successivement au bord de l'Oued-Khamis, près d'Haouch-el-Bey (1), puis sur l'Oued-Corso après avoir franchi le Boudouaou ; enfin, sur la rive gauche de l'Isser, à côté d'Haouch-ben-Ameur, en descendant du Teniah des Beni-Aïcha (2). Pendant cette marche, un goum nombreux, commandé par le khalifa Ben Mahy-ed-Din, vint joindre la colonne.

 

(1) Haouch veut dire ferme. Haouch-el-Bey : la ferme du Bey.
(2) Teniah est un mot que nous avons traduit par col, quoiqu'il exprime plus généralement le point de passage d'une route sur une crête.

    

 

   
On touchait au pied des montagnes : leurs cimes se voilaient d'épais nuages ; il y plut pendant la nuit ; et la rivière, que l'on aurait pu traverser aux gués dès le premier jour, arrêta la colonne pendant quarante-huit heures. Le pays des Issers était abandonné par eux ; ils avaient craint les incursions des montagnards : on vint même prévenir le Maréchal qu'il essuierait, la nuit, une sérieuse attaque dans son camp. Les avant-postes furent disposés en conséquence; ils garnirent également la rive droite de l'Isser : aucune tentative n'eut lieu.

Le 2 mai, on avait mis le pied sur le territoire ennemi ; on campait à Bordj-Menaïl, sous les grandes montagnes des Flissas. On y apercevait, en un point culminant, la koubba vénérée de Timezarit : elle semblait un lieu de rendez-vous pour les guerriers kabyles, et leur rassemblement grossissait à vue d'œil. On était donc en face du centre de la résistance.

Le Maréchal avait prémédité l'occupation de la petite ville et du port de Dellys, pour en faire son point de ravitaillement ; il y avait donné rendez-vous, à jour fixe, aux bateaux à vapeur de la marine royale. Des renseignements apprirent l'existence d'une communication facile entre Dellys et Bordj-Menaïl ; cette dernière position stratégique convenait, on ne peut mieux, à un dépôt central d'approvisionnements, d'où nos colonnes allégées rayonneraient dans la montagne. En conséquence, l'occupation momentanée du second point fut aussi résolue, et l'emplacement choisi sur un mamelon vis-à-vis le vieux Bordj, lequel était en trop mauvais état et trop petit pour convenir lui-même à cet usage. Un tracé de redoute adopté, des travailleurs creusèrent le fossé à la hâte, des caisses de biscuit étagées servirent de parapet ; une corvée de la colonne entière amassa, non sans peine et en démolissant tous les gourbis des environs, quelques tas de bois nécessaires au détachement qui devait occuper le poste, pendant que le Maréchal, avec le gros de la colonne, irait s'emparer de Dellys et y recevoir ses nouveaux approvisionnements. 

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes