Dans le courant de la journée,
on vit encore venir celui des Ameraouas, reconnaissable à ses
drapeaux. Les spectateurs intéressés de ce vaste
rassemblement, supputaient un à un la force numérique des
groupes, et la longue vue en main, estimaient le total à
quinze, à dix-huit, à vingt mille.
" Messieurs, dit froidement le Maréchal, ne, discutez
pas sur leur nombre, ce nombre nous importe peu. Je voudrais
pour ma part qu'ils fussent quarante mille ; car nous en
tuerions davantage, et la leçon serait plus durable, sans que
pour cela notre succès en devint moins assuré. Je vous l'ai
déjà dit maintes fois : au-delà d'un certain nombre,
au-delà du nombre qui leur permet de nous envelopper et
d'agir en totalité contre nous, les masses confuses,
tumultueuses, ne gagnent aucune force réelle par leur
accroissement numérique ; au contraire, le désordre, la
confusion augmentent en raison directe de leur multitude.
"
Malgré cette proposition dont on ne contestait pas
ouvertement la valeur théorique, il semblait bien audacieux
et même téméraire d'attaquer, avec quatre à cinq mille
baïonnettes, une infanterie quatre ou cinq fois plus
nombreuse, tenant d'ailleurs une série de positions
très-fortes. Ces doutes continuèrent à préoccuper des
officiers même remarquables entre tous par leur vigueur
d'exécution. Il y en eut d'un grade élevé, qui, mettant à
profit des relations amicales avec le Gouverneur, mûs d'un
intérêt sincère pour sa gloire, firent une dernière
tentative pour le détourner de sa résolution, encore que
tous les ordres eussent été donnés. Le Maréchal leur
répondit avec son inébranlable conviction : " Voilà
longtemps que je professe devant vous cette théorie de
l'impuissance des masses irrégulières, en quelque nombre
qu'elles soient, contre un certain effectif de troupes
organisées. Eh bien ! Messieurs, demain je serai doublement
satisfait de justifier ma théorie par une application. "
La ligne de l'ennemi formait, en face de nous, un grand
angle
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