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En effet derrière elles, les cacolets, les cent chevaux n'arrivent qu'un à un ; les bataillons débouchent enfin, mais en désordre, mêlés et confondus par la marche de nuit qui s'est effectuée sur un rang ; leur formation est lente. Pendant ce temps, l'avant-garde entraînée par son succès de surprise, appuie de plus en plus sur la droite où l'ennemi lui apparaît nombreux. Elle arrive sur la lisière d'un grand bois au lieu de s'y embusquer et de tenir les Kabyles en échec par une vive fusillade, elle s'élance sur la clairière qui les sépare d'eux et commence une attaque infructueuse ; sa faiblesse numérique est révélée, les Kabyles prennent l'offensive. En un moment la moitié de la compagnie tête de colonne est mise hors de combat : une seconde rétablit d'abord l'équilibre, mais sera bientôt insuffisante, lorsque intervient un bataillon envoyé à la hâte par le Maréchal au bruit de cette fusillade qui l'inquiète.

Cependant le grand jour paraît ; il montre encore à l'ennemi sa ligne de défense brisée au centre, tactique naturelle des petites armées contre les grosses. Dès lors, tous les villages éparpillés sur la montagne sont enlevés successivement avec l'énergie habituelle ; mais les fuyards échappent aux coups de notre cavalerie qui, mal renseignée, s'est perdue dans des sentiers inextricables, sans parvenir au lit de l'Oued-Kseb.

Toutefois, l'ennemi n'entend pas nous abandonner encore une victoire où la surprise peut revendiquer sa part. Deux fois, contre son usage, il revient avec un rare acharnement à l'attaque des positions que nous lui avons enlevées. Pour en finir, le Maréchal fait rayonner dans tous les sens une charge à fond prolongée.

Il est près de cinq heures du soir quand les derniers coups de fusil se font entendre, les premiers avaient devancé le soleil.

Notre perte est de trente-deux morts dont un officier, et quatre-vingt quinze blessés ;  celle de l'ennemi peut monter à six cents 

    

 

   
hommes environ (1). C'est par leurs résultats moraux qu'il faut juger de semblables affaires. Celle-ci renfermait en germe la conquête de toute la Kabylie tant elle avait précisé l'ascendant de nos troupes sur les contingents montagnards (2) ; ces derniers littéralement n'osaient plus les regarder en face. Quant au fait d'armes en lui même, si l'on considère la disproportion numérique, les difficultés du terrain, l'énergie, la durée de la résistance, on ne sera peut-être pas surpris d'apprendre que beaucoup d'officiers le placent, soit pour le Maréchal, soit pour l'armée d'Afrique, à côté et même au-dessus de la bataille d'Isly.
 

IV.

 
Le Gouverneur prit alors une résolution politique non moins belle que sa résolution militaire de livrer le combat du 17. Ce fut d'appeler son camp sur le théâtre même de l'affaire, et de l'y maintenir en dépit des difficultés du terrain ou de l'exiguïté des ressources, jusqu'à la soumission complète de l'ennemi. S'il fût redescendu, celui-ci n'aurait pas masqué d'inquiéter son mouvement rétrograde, et de jeter ainsi quelques doutes sur la valeur du succès obtenu. Les Kabyles, n'étant pas atteint dans leurs intérêts matériels, eussent de nouveau prêté l'oreille aux discours des agitateurs. Tout était remis en question.

D'un autre côté, des évènements d'une gravité menaçante éclataient à l'ouest de l'Algérie, sur la frontière du Maroc. Le Gouverneur-Général en était prévenu : l'anxiété ne le quittait pas, car il sentait toute l'urgence d'apporter sur ce nouveau point le poids de son expérience et de ses forces disponibles. Mais bien loin d'en conclure à plâtrer superficiellement les affaires de la Kabylie, à brusquer son départ, il n'y voyait qu'un motif plus impérieux d'asseoir solidement la conquête entamée, afin de ne laisser sur ses derrières aucun embarras redoutable. 

 

(1) Voir la note H.
(2) Voir la note J.

 
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