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A ce prix seulement, une entière liberté d'action lui appartenait au dehors.

Le 18, les blessés étaient évacués sur Dellys , sous l'escorte d'un bataillon ; le troupeau et la cavalerie française retournaient à Bordj-Menaïel ; mais l'infanterie descendait successivement reprendre ses sacs, ses tentes, au camp inférieur, où le goum arabe restait seul, et elle s'installait sur les hauteurs conquises dans la journée du 17. Cette mesure plaçait sous la main du vainqueur tous les villages éparpillés dans un rayon de plusieurs lieues, ainsi que les vergers et les jardins qui en constituent la richesse. Le gouverneur témoigna de sa ferme volonté d'agir impitoyablement, par une première exécution, sur les localités les plus voisines ; puis, il attendit que l'exemple eût produit son effet. Cela ne tarda point. Le 18, El-Medani-ben-Mahy-ed-Din, un des chefs des Ameraouas, se rendit dans le camp du goum, auprès du directeur central des affaires arabes, qui l'accueillit fort bien et l'amena de suite au Maréchal. L'aspect de cet envoyé pacifique souleva dans l'armée entière, mais surtout dans les rangs supérieurs, des marques de satisfaction visibles ; car il n'était personne qui ne partageât, avec le général en chef, l'impatience d'intervenir dans la grande question du Maroc.

El-Medani, après s'être entretenu avec le Maréchal, lui demanda la permission d'aller chercher le jeune chef des Flissas, El-Haoussein-ben-Zamoun, et de le présenter à son aman. La première entrevue roula sur une autorisation demandée par les Kabyles d'enlever leurs morts abandonnés autour de notre camp. Ensuite, on s'expliqua sur la soumission.

Les cheikhs, reconnaissant la supériorité de nos armes, dont ils s'avouaient même convaincus à l'avance, crurent devoir excuser leur conduite, et ils le firent en ces termes : " Nous ne pouvions nous dispenser de combattre pour défendre nos foyers ; nos femmes n'auraient plus voulu nous regarder ni préparer, nos 

    

 

   
aliments. Nous avions d'ailleurs promis à Ben-Salem de mourir avec lui, s'il voulait mourir avec nous. S'il eût tenu sa parole, nous nous serions fait tuer jusqu'au dernier ; mais il a fui au commencement de l'attaque, nous ne lui devons plus rien. Il ne reparaîtra plus dans nos montagnes, et nous serons aussi fidèles à la parole que nous vous donnons qu'à celle que nous lui avions donnée. "

Le Gouverneur leur répondit qu'il les estimait davantage pour avoir bien combattu, que les braves guerriers étaient toujours loyaux ; et qu'il comptait sur la fidélité au serment qu'ils allaient prêter au Roi des Français.

Dans la discussion des intérêts, ils prétendirent se dispenser de payer l'impôt, en disant qu'ils n'en avaient jamais payé ni à Abd-el-Kader, ni aux Turcs, et que ceux-ci, ayant voulu les y contraindre, avaient été défaits six ou huit fois. " Je ne me règle, dit le Gouverneur, ni sur Abd-el-Kader, ni sur les Turcs ; la France est autrement puissante que ne l'était le dey d'AIger : elle veut qu'Arabes, Kabyles, Français, tous soient traités avec égalité ; vous paierez l'impôt comme les autres. " Ils baissèrent la tête en signe de résignation.

Mais après les avoir contraints à subir le principe on ne leur en fit qu'une application très douce. Tous les points de la soumission étant réglés, l'investiture des chefs principaux et secondaires eut lieu. La musique jouait ; le canon annonçait aux fiers montagnards que le petit-fils de Ben-Zamoun acceptait les lois de la France et avait revêtu le burnous du commandement. L'aghalik des Flissas, qu'on plaçait sous ses ordres, comprenait même alors la confédération des Gechtoulas, qui plus tard en fut détachée.

La plus puissante tribu du Sebaou s'étant ainsi soumise, il était à présumer que son exemple entraînerait toutes les autres.

 
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