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Tout n'est pas à blâmer ni à rejeter dans
les méthodes algériennes d'assimilation des indigènes. Masqueray
rapporte une conversation qu'il eut avec Jules Ferry dans un jardin de
Mustapha : " Nous parlions, dit-il, de la Tunisie et de l'Algérie,
de la terre du protectorat et de la terre de la conquête, de celle qui
nous est venue sans rien perdre d'elle-même et de celle que notre
victoire a bouleversée comme une herse aux dents aiguës. M. Ferry nous
écoutait, jouissant délicieusement de la grande brise du large. Alors,
l'un de nous osa dire que, malgré la quiétude du protectorat,
l'Algérie lui était encore plus chère que la Tunisie, justement parce
qu'elle exigeait plus d'efforts et parce que nulle part ailleurs, ni en
Asie, ni en Amérique, ni en Afrique même, nulle autre nation que la
nôtre n'avait entrepris d'assimiler des indigènes musulmans en
introduisant au milieu d'eux un élément européen, problème
difficile, regardé par beaucoup comme une utopie, mais qu'un jour ou
l'autre un homme d'État pourrait résoudre en se couvrant de gloire. Il
se retourna vers le parleur et le fixa d'un regard métallique, presque
étonné, comme un homme surpris dans le secret de sa pensée. "
Certes, notre victoire a bouleversé l'Algérie " comme une
herse aux dents aiguës " ; c'est un troupeau sans bergers et,
comme l'a dit M. Jules Cambon, une poussière d'hommes. Mais cette
société, qui a perdu ses cadres, se prépare à entrer dans les
nôtres. Il est remarquable que les musulmans algériens ne réclament
pas l'indépendance comme les Égyptiens, ni une charte
constitutionnelle comme les Tunisiens. N'ayant pas, n'ayant jamais eu de
souverain national, déclarés Français par le sénatus-consulte de
1865, pourvus de droits électoraux par la loi de 1919, ils aspirent à
se confondre avec nous; ils réclament des écoles françaises, même
pour les filles, un enseignement français; ils demandent à prendre à
nos côtés une place de plus en plus grande dans nos assemblées
délibérantes, à s'associer à nous dans la gestion politique et la
mise en valeur économique de l'Algérie. Ils demandent à avoir les
mêmes droits que nous, à devenir citoyens français comme nous, en un
mot à faire partie de la famille française.
Nous ne sommes pas venus en Algérie simplement pour remettre un peu
d'ordre dans l'administration indigène, donner au pays son outillage,
après quoi, notre oeuvre étant terminée, ce pays se détacherait de
nous et nous n'aurions plus à compter que sur sa reconnaissance assez
problématique pour les services rendus. Notre but final, conforme à
notre idéal d'autrefois et de toujours, à l'idéal de Richelieu et de
Louis XIV aussi bien que de la Révolution française, c'est la
fondation d'une France d'outre-mer, où revivront notre langue et notre
civilisation, par la collaboration de plus en plus étroite des
indigènes avec les Français, en un mot par leur francisation. |
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