Page précédente HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES - Tome2 - Retour page Table des matières ALGÉRIE - LIVRE PREMIER - CHAP. 2 Page suivante
  L'ALGÉRIE SOUS LES TURCS  
     
   quatre coins de l'Europe, assemblage hétéroclite des races les plus diverses et des types les plus opposés; l'arabe, le provençal, l'italien, l'espagnol, le français, toutes les langues et tous les idiomes se heurtaient dans cette Babel. Quand un navire entrait dans la darse, arborant fièrement le pavillon vert semé d'étoiles d'argent, tout se ruait vers la marine; c'était le moment d'acheter, de vendre, de spéculer. Parfois, si l'on avait capturé quelques barques espagnoles chargées de vin, les esclaves se grisaient à bon marché; ils avaient leur part de liesse. A de certains jours, la ville devenait morne; les rues étaient désertes, les maisons closes; la milice venait d'égorger le dey, dont les esclaves traînaient dans la cour le corps encore chaud, pendant que son successeur recevait le baisemain de ceux qui l'entouraient. Ou bien c'était une révolte de Koulouglis, de Kabyles, d'esclaves, ou encore une escadre européenne qui lançait ses boulets et ses bombes. Mais, l'orage passé, on reprenait avec insouciance la vie accoutumée.

Les Turcs, comme de juste, tenaient le premier rang; le dernier des janissaires était qualifié de " haut et magnifique Seigneur ". Haedo distinguait deux sortes de Turcs : les Turcs de naissance et les Turcs de profession, c'est-à-dire les renégats. On appelait Koulouglis les fils de Turcs et de femmes indigènes; ils étaient redoutés des janissaires, qui les tenaient à l'écart des charges publiques, mais ne pouvaient leur ôter leur influence, qui était grande. Les musulmans d'Espagne, Mudejares ou Andalous et Tagarins de Valence et d'Aragon, détenaient l'industrie locale. L'administration municipale comprenait le cheikh-et-blad, premier magistrat, le bit-el-maldji, administrateur des successions vacantes, le mohtasseb, chargé de la surveillance des marchés, le mezouar, chargé de la police des femmes publiques, l'amin-el-aïoun, chargé des fontaines. Les divers corps de métier avaient chacun leur amin.

Les juifs étaient au nombre de 10 000 environ et trafiquaient sur les marchandises provenant de la course, qu'ils trouvaient moyen de revendre en Europe. Ils étaient fort maltraités, frappés et insultés, soumis à de lourds impôts, ne pouvant se vêtir que de couleurs sombres. Mais le besoin d'argent, principal mobile de la politique des deys, les força souvent à recourir aux Juifs; ils furent d'abord les banquiers des deys, puis leurs conseillers et enfin leurs ministres. Les Juifs dits indigènes qui composaient la grande majorité de la colonie étaient anciennement établis dans le pays ou venus d'Espagne à partir du quatorzième siècle; ils s'occupaient de petits commerces et de petits métiers, étaient parqués dans un quartier spécial et étaient fréquemment pillés. Il en était autrement de ceux qu'on appelait les Juifs francs, venus d'Italie et surtout de Livourne, où les grands-ducs de Toscane

 
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