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quatre coins de l'Europe, assemblage hétéroclite des races les
plus diverses et des types les plus opposés; l'arabe, le
provençal, l'italien, l'espagnol, le français, toutes les langues
et tous les idiomes se heurtaient dans cette Babel. Quand un navire
entrait dans la darse, arborant fièrement le pavillon vert semé
d'étoiles d'argent, tout se ruait vers la marine; c'était le
moment d'acheter, de vendre, de spéculer. Parfois, si l'on avait
capturé quelques barques espagnoles chargées de vin, les esclaves
se grisaient à bon marché; ils avaient leur part de liesse. A de
certains jours, la ville devenait morne; les rues étaient
désertes, les maisons closes; la milice venait d'égorger le dey,
dont les esclaves traînaient dans la cour le corps encore chaud,
pendant que son successeur recevait le baisemain de ceux qui
l'entouraient. Ou bien c'était une révolte de Koulouglis, de
Kabyles, d'esclaves, ou encore une escadre européenne qui lançait
ses boulets et ses bombes. Mais, l'orage passé, on reprenait avec
insouciance la vie accoutumée.
Les Turcs, comme de juste, tenaient le premier rang; le dernier
des janissaires était qualifié de " haut et magnifique
Seigneur ". Haedo distinguait deux sortes de Turcs : les Turcs
de naissance et les Turcs de profession, c'est-à-dire les
renégats. On appelait Koulouglis les fils de Turcs et de femmes
indigènes; ils étaient redoutés des janissaires, qui les tenaient
à l'écart des charges publiques, mais ne pouvaient leur ôter leur
influence, qui était grande. Les musulmans d'Espagne, Mudejares ou
Andalous et Tagarins de Valence et d'Aragon, détenaient l'industrie
locale. L'administration municipale comprenait le cheikh-et-blad,
premier magistrat, le bit-el-maldji, administrateur des successions
vacantes, le mohtasseb, chargé de la surveillance des marchés, le
mezouar, chargé de la police des femmes publiques, l'amin-el-aïoun,
chargé des fontaines. Les divers corps de métier avaient chacun
leur amin.
Les juifs étaient au nombre de 10 000 environ et trafiquaient
sur les marchandises provenant de la course, qu'ils trouvaient moyen
de revendre en Europe. Ils étaient fort maltraités, frappés et
insultés, soumis à de lourds impôts, ne pouvant se vêtir que de
couleurs sombres. Mais le besoin d'argent, principal mobile de la
politique des deys, les força souvent à recourir aux Juifs; ils
furent d'abord les banquiers des deys, puis leurs conseillers et
enfin leurs ministres. Les Juifs dits indigènes qui composaient la
grande majorité de la colonie étaient anciennement établis dans
le pays ou venus d'Espagne à partir du quatorzième siècle; ils
s'occupaient de petits commerces et de petits métiers, étaient
parqués dans un quartier spécial et étaient fréquemment pillés.
Il en était autrement de ceux qu'on appelait les Juifs francs,
venus d'Italie et surtout de Livourne, où les grands-ducs de Toscane
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