La question de l'évacuation ou de la conservation d'Alger fut
débattue en septembre 1830 au Conseil des ministres ; la discussion
fut assez vive; M. Molé se prononça nettement pour la conservation
et les autres ministres, d'abord hésitants, se rallièrent à sa
manière de voir. Les instructions du prince de Talleyrand, nommé
ambassadeur à Londres, furent rédigées en conséquence; elles
étaient très nettes et très fermes : "La France, disait le
roi, a un intérêt pressant à diminuer la prépondérance de
l'Angleterre dans une mer qui est la sienne et dont l'Angleterre
n'est même pas riveraine. Elle doit chercher toutes les occasions
de rendre l'occupation de Malte et des îles Ioniennes inoffensive.
L'entreprise d'Alger peut avoir les conséquences les plus
avantageuses pour notre avenir maritime. Sur cette question, la
France est en opposition d'intérêt et de politique avec
l'Angleterre et aura besoin de toute l'habileté de son ambassadeur.
L'affaire d'Alger forme la partie la plus délicate de votre
mission. L'évacuation serait contraire à notre dignité et à nos
intérêts. "
Diplomate de la vieille école, Talleyrand, qui avait toujours
désapprouvé l'expédition d'Alger, affectait de dédaigner les
questions coloniales. Il parlait le moins possible de ce sujet
brûlant : " J'aimerais bien, écrivait-il, que nos journaux en
fissent autant. Il est bon qu'on s'accoutume à notre occupation et
le silence est le meilleur moyen. "
Le temps en effet travaillait pour nous. Le 15 novembre 1830, le
ministère tory du duc de Wellington fut renversé par un vote de la
Chambre des communes. Talleyrand, très influent dans la haute
société anglaise, n'était pas étranger à cette chute; le
ministère whig, dans lequel lord Grey devint premier ministre et
lord Palmerston ministre des Affaires étrangères, était par
définition moins malveillant pour la France, quoique lord
Palmerston n'aimât guère le vieux Talley, qu'il appelait le plus
grand coquin du monde.
Sur ces entrefaites, de graves événements européens, la
révolution belge, l'intervention autrichienne dans les États
pontificaux, l'insurrection de Pologne, enfin et surtout la question
d'Orient, reléguèrent au second plan la question d'Alger. Les
Français occupaient Anvers, les Russes étaient aux portes de
Constantinople, tous les souverains étaient aux prises avec la
marée montante des peuples; l'affaire d'Alger était bien peu de
chose à côté de ces graves soucis. L'Angleterre aimait mieux nous
voir à Alger qu'aux bouches de l'Escaut ou à Alexandrie. La
satisfaction de nous avoir écartés des Flandres malgré la
révolution belge amena le gouvernement britannique à s'accommoder
de notre occupation de l'Algérie. La France put y maintenir son
armée, sans toutefois déclarer encore expressément ce qu'elle
entendait faire de sa conquête.
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