|
C'était, nous l'avons dit, une erreur absolue de s'appuyer sur
cette catégorie d'indigènes, qui n'avaient eux-mêmes aucune
influence, pour asseoir notre domination. " Un indigène,
remarque Pellissier de Reynaud, se soumettra à un Français, parce
qu'il reconnaîtra au moins en lui le droit du plus fort, mais
vouloir qu'il obéisse à un citadin, à un marchand, c'est lui
imposer une humiliation qu'il repoussera de toute la force de son
âme. "
Rovigo paraît l'avoir compris. Et comme les Maures s'agitaient, il
en expulsa deux, Bou-Derba et Hamdan, l'ancien agha nommé par
Bourmont et destitué par Clauzel. Ils allèrent à Paris où ils
furent accueillis et fêtés; ces pacifiques marchands de poivre
furent traités comme les plus grands des fils d'Ismaël.
La région que nous occupions autour d'Alger était infime et ne
s'étendait qu'à quelques kilomètres autour de la ville; elle
était limitée par une ligne de blockhaus partant de la pointe
Pescade et passant par la Bouzaréa, Dely-Ibrahim, le gué de
Constantine, la Maison-Carrée et l'embouchure de l'Harrach. Au
delà régnait le marabout de Koléa, Sidi-Embarek, nommé agha des
Arabes par Berthezène. Rovigo ne voulut pas se résigner au rôle
passif dont s'était contenté son prédécesseur. Se méfiant d'Embarek,
non sans raison peut-être, il voulut entrer en rapports directs
avec les indigènes. L'agha joua double jeu et poussa les indigènes
à l'insurrection, tout en protestant qu'il avait eu la main
forcée. Rovigo fit arrêter des marabouts de Koléa parents d'Embarek
et imposa aux deux villes de Blida et de Koléa une contribution
formidable.
Dans la province de Constantine, Bône, évacuée par Bourmont,
évacuée par Berthezène, fut occupée pour la troisième fois
grâce à la hardiesse d'un jeune officier nommé Yusuf, qui devait
jouer par la suite un rôle important. La vie de Yusuf, telle qu'il
la racontait lui-même, était un vrai conte oriental, dont certains
détails sont si étranges qu'ils sont à peine croyables. Né à
l'île d'Elbe en 1808, il avait été pris par des pirates en 1815
et emmené à Tunis; élevé dans le harem du bey, il avait plu à
tout le monde par sa grâce, sa beauté, son esprit et sa bravoure.
Une intrigue qu'il noua avec la fille du bey ayant été surprise,
il réussit, avec la complicité du consul de France, Mathieu de
Lesseps, à s'embarquer pour Alger, où il arriva en juin 1830.
Bourmont l'attacha à son quartier général en qualité
d'interprète, puis Clauzel le nomma capitaine dans le corps de
cavalerie indigène qu'il venait de créer. Envoyé à Bône par
Rovigo avec le capitaine d'artillerie d'Armandy, il se fait donner
25 marins par le commandant du navire qui l'avait amené,
s'introduit dans la Kasba en se hissant avec des cordes, arbore le
drapeau français et se maintient dans la citadelle après avoir
réprimé une tentative de révolte des soldats turcs qui
l'occupaient au nom du bey de Constantine et qui, après avoir voulu
le massacrer, lui témoignèrent le plus absolu dévouement.
|
|