Abd-el-Kader n'était pas un homme d'épée, un djouad;
c'était un personnage religieux, un marabout. Il était fils d'un
vieux chérif des environs de Mascara, nommé Mahi-ed-Din, qui
passait pour un saint dans la tribu des Hachem. Ses ancêtres,
originaires de Médine, étaient venus s'établir jadis au Maroc,
que son grand-père avait quitté pour la plaine d'Eghris et le pays
des Hachem. Mahied-Din, mokaddem de la confrérie des Kadriya,
était en mauvais termes avec les Turcs et avait été emprisonné
par eux à Oran ; il échappa à la mort grâce à l'intervention de
la femme du bey, qui obtint sa grâce.
En 1827, Abd-el-Kader accompagna son père au pèlerinage de la
Mecque; il séjourna au Caire, où il fut vivement frappé des
réformes accomplies par Méhémet-Ali. Des prophéties
merveilleuses concernant le jeune pèlerin annonçaient déjà qu'il
régnerait sur les Arabes. Lorsque les Français prirent possession
d'Oran, les indigènes demandèrent à Mahi-ed-Din de se mettre à
leur tête pour aller combattre les infidèles; ils assiégèrent
Oran au printemps, partirent, puis revinrent à l'automne. Ils
déployèrent une extrême bravoure, mais furent défaits à
plusieurs reprises, jonchant la terre de leurs morts. Le prestige de
Mahi-ed-Din n'en fut pas affaibli.
Le 22 novembre 1832, une réunion des trois tribus des Hachem,
des Beni-Amer et des Gharaba eut lieu à Ersebia, dans la plaine d'Eghris,
en vue du choix d'un chef pour la guerre sainte. Mahi-ed-Din refusa
en raison de son grand âge; il appela son fils Abd-el-Kader et lui
demanda comment il exercerait le pouvoir s'il en était investi :
" Si j'étais sultan, répondit le jeune homme, je gouvernerais
les Arabes avec une main de fer et si la loi m'ordonnait de faire
une saignée derrière le cou de mon propre frère, je
l'exécuterais des deux mains. " Mahi-ed-Din sortit de sa tente
tenant son fils par la main et dit à la fouie qui l'entourait :
" Voici le sultan qui vous est promis par les prophètes.
" De bruyantes acclamations ratifièrent ce choix.
Abd-el-Kader avait vingt-quatre ans; il ne possédait que 2 boudjous
(3 fr. 50) dans le pan de son burnous. Reconnu à Mascara, il
occupait l'ancienne maison des beys. Proclamé par trois tribus
seulement, il lui fallait se faire accepter par les autres
indigènes. Il s'appuyait sur la confrérie des Kadriya, mais se
heurta jusqu'à la fin de sa carrière aux confréries rivales,
Taïbiya et Tidjaniya. Son autorité et son prestige étaient donc
bien faibles à l'origine. Il se rendit à la mosquée de Mascara,
prêcha la paix et la concorde entre les fidèles, promit de les
diriger dans la voie de Dieu et de la guerre sainte. Il écrivit à
toutes les tribus pour leur apprendre son élévation au pouvoir et
leur désigner les hommes qu'il avait choisis pour être ses khalifas,
ses lieutenants.
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