La colonisation fut la constante
préoccupation de Clauzel, autant que le maintien de la
domination française et plus que l'administration de notre
nouvelle colonie. Il l'adopta résolument, après une rapide
enquête sur les ressources du pays, la défendit avec courage
dans les conseils du gouvernement et s'appliqua à la
réaliser par tous les moyens.
Il s'efforça de réfuter les objections qu'on élevait contre
la colonisation de l'Algérie. L'hostilité des indigènes,
entretenue d'ailleurs par nos fâcheuses indécisions, ne lui
paraissait pas une raison suffisante pour renoncer à établir
des Européens dans le pays. Il préconisait à l'égard des
musulmans une politique de justice et d'humanité, convaincu
que nos adversaires deviendraient plus tard nos meilleurs
auxiliaires. Il fallait respecter leurs mœurs et leurs
croyances, s'appliquer à les rapprocher de nous, rappeler à
Alger ceux qui s'en étaient momentanément éloignés, leur
ouvrir les rangs de notre armée. Quant à la prétendue
insalubrité de l'Algérie, Clauzel, qui avait vécu dans des
contrées plus malsaines, estimait qu'elle irait en
s'atténuant à mesure que le pays serait défriché et
assaini et déclarait l'acclimatement des Européens
parfaitement possible. L'absence de terres vacantes et en
quantités illimitées comme en Amérique était évidemment
un gros obstacle, mais il ne paraissait pas insurmontable; le
Domaine avait des terres qu'il pouvait concéder gratuitement
comme cela se faisait en Amérique et on pouvait en acheter
aux indigènes qui les cédaient volontiers.
Sur un seul point, Clauzel faisait fausse route : il
croyait, comme la plupart de ses contemporains, l'Algérie
appelée à produire du sucre, du café, de l'indigo, en un
mot des cultures tropicales, dont la notion, pour les hommes
de ce temps, s'identifiait en quelque sorte avec celle de
colonie. Il pensait sans cesse à Saint-Domingue et aux
États-Unis du Sud. Le botaniste Desfontaines, qui avait
parcouru l'Algérie avant la conquête, fit quelques réserves
; sans nier la possibilité d'y cultiver le coton et l'indigo,
il pensait à juste titre qu'on y ferait surtout du blé, de
la vigne, des céréales.
" Il ne faut pas plus de dépenses, disait Clauzel, pour
coloniser en occupant que pour occuper sans coloniser. " |