Bugeaud n'avait pas encore sur l'Algérie les opinions qu'il
professa plus tard, lorsque, devenu gouverneur général, il
préconisa la conquête totale du pays. En 1836 et en 1837, il
était partisan déterminé de l'occupation restreinte. En avril
1837, il revint en Afrique presque en même temps que Damrémont
était nommé gouverneur général. Il était à peu près
indépendant vis-à-vis du chef de la colonie, comme Desmichels
l'avait été vis-à-vis de Voirol ; il était une sorte de
demi-gouverneur, correspondant directement avec le pouvoir central.
Les inconvénients que cette situation avait présentés la
première fois se renouvelèrent; Bugeaud noua comme son
prédécesseur des négociations avec Abd-el-Kader ; comme son
prédécesseur aussi, il outrepassa les instructions qu'il avait
reçues et fit plus de concessions qu'il n'avait été autorisé à
en accorder.
Aussitôt arrivé, Bugeaud reçut la visite de Ben-Durand, qui
lui fut présenté par le général de Brossard et qui était
porteur d'une lettre d'Abd-el-Kader où celui-ci paraissait
manifester le désir de traiter. Il fit connaître au Juif ses
conditions, à savoir la reconnaissance de la souveraineté de la
France et la fixation de limites précises à la région dont Abd-el-Kader
serait laissé maître. Ces premières bases étaient conformes aux
instructions que Bugeaud avait reçues du cabinet; elles furent
envoyées à Paris par le télégraphe et le général reçut
l'autorisation de traiter à ces conditions, que le roi se
réservait de ratifier. Mais, lorsque cette dépêche parvint à
Bugeaud, il avait déjà perdu en grande partie l'espoir d'un
arrangement, car, portées à la connaissance d'Abd-el-Kader, les
bases indiquées avaient été aussitôt repoussées. Le général
modifia ses premières propositions et accorda à l'émir le Titteri,
contrairement aux instructions du cabinet.
L'émir, de son côté, entra en négociations avec Damrémont,
espérant, en menant ainsi deux négociations parallèles, obtenir
de l'un des généraux ce que l'autre lui refuserait. Cette ruse, si
familière aux indigènes, eut un plein succès. Bugeaud, furieux,
échangea avec Damrémont des lettres très vives. Durand se vantait
de son côté de prendre l'argent d'Abd-el-Kader pour diviser et
corrompre les khalifas français, l'argent des khalifas français
pour corrompre les conseillers d'Abd-el-Kader. Les plaintes et les
récriminations des deux généraux mettaient le ministère dans
l'embarras; il décida que la conduite des négociations serait
laissée à Bugeaud, sauf approbation du gouverneur général.
De ces négociations résulta le traité de la Tafna (30 mai
1837), par lequel la France se réservait seulement Alger, Oran,
Mostaganem, Mazagran et leur banlieue; autour d'Alger, le Sahel et
la Mitidja " bornée à l'Est jusqu'à l'Oued Keddara et au
delà ".
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