En août, Ahmed sortit de Constantine et excita partout les tribus
contre les Français; son lieutenant Ben-Aïssa vint jusqu'aux
environs de Bône et nos alliés nous abandonnèrent. Cependant
Yusuf resta jusqu'à la fin de sa vie convaincu que si l'armée
s'était présentée devant Constantine en meilleur état, si elle
n'avait pas été obligée de compter les heures et si elle avait pu
attendre le résultat de ses manœuvres politiques, l'entreprise
aurait réussi. Clauzel avait la même opinion.
En fait, la véritable cause de l'échec fut l'obstination de
Clauzel à vouloir entreprendre l'expédition sans moyens suffisants
et surtout dans une saison trop tardive. Il convint lui-même qu'il
aurait dû y renoncer. L'ardeur de son imagination, la force
inflexible de sa volonté et le besoin qu'il avait du succès lui
firent prendre ses illusions pour des réalités. Son plan se
heurtait à des difficultés insurmontables : " Quand on
étudie quelque peu cette campagne, dit le général Donop, on est
confondu de voir avec quelle légèreté cette entreprise si
difficile et si délicate fut préparée et avec quelle négligente
insouciance elle fut conduite. Certes, des actes de la plus belle
bravoure, des actes d'héroïsme même furent accomplis chaque jour
durant la campagne; cependant on peut dire que du commencement
jusqu'à la fin, à maintes reprises tout le monde manqua à son
devoir, depuis les ministres sans autorité ni franchise et le
général en chef sans jugement jusqu'à certains officiers et à un
trop grand nombre de soldats sans discipline."
L'expédition de Constantine, dont les scènes douloureuses ou
glorieuses ont été immortalisées par le crayon de Raffet, est
assurément la page la plus tragique de la conquête de l'Algérie.
On avait réuni péniblement 7400 hommes et 1300 chevaux; on n'avait
presque pas de mulets, peu d'artillerie et de munitions. Cette
troupe fut engagée dans un pays inconnu, ayant contre elle la
saison, la maladie, la distance, la famine, la politique et toutes
les chances militaires. Le mauvais temps, les fièvres éprouvèrent
l'armée avant qu'elle se mit en route; 2 000 hommes entrèrent dans
les hôpitaux. Le 13 novembre 1836, le quartier général et le gros
des troupes commencèrent leur mouvement; on fit route par Guelma,
Medjez-Ahmar, Ras-el-Akba et l'Oued-Zenati ; le 22 seulement on
arriva devant Constantine. Pendant ces huit jours, il n'y eut pas un
seul engagement sérieux, mais des combats sanglants auraient fait
moins de mal que n'en causèrent les intempéries. La pluie n'avait
pas cessé de tomber comme elle tombe en Afr que, défonçant le
sol, gonflant les torrents, exténuant les hommes et les animaux.
Après de pénibles journées où il avait fallu s'atteler aux
voitures du convoi, marcher dans l'eau glacée des rivières, le
bois manquait pour allumer les feux de bivouac. Dans la nuit du 20
au 21, la neige se mit à tomber; des soldats moururent de froid;
beaucoup étaient malades et les plus valides ne valaient guère
mieux; sans avoir vu l'ennemi, l'armée était harassée.
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