Lorsqu'elle se présenta devant Constantine, elle fut reçue à
coups de canon. Ahmed avait quitté la ville, mais son lieutenant
Ben-Aïssa y était resté; tout était prêt pour la résistance.
La position de Constantine est formidable. La ville occupe la
surface d'un rocher entouré sur trois faces par un ravin,
véritable abîme de 30 à 60 mètres de profondeur, dans lequel
roule et gronde le Rummel ; on ne peut l'approcher que du côté de
l'Ouest, où une langue de terre, le Koudiat-Aty, rattache le rocher
au reste du pays. Avec les faibles moyens dont on disposait, des
munitions et des vivres en quantité insuffisante, il ne fallait pas
songer à un siège en règle. Le mauvais état des routes ne
permettant pas de conduire des canons jusqu'au Koudiat-Aty, on les
installa sur le plateau de Mansoura et on ouvrit le feu contre la
porte d'El-Kantara, à laquelle aboutissait un pont jeté sur le
Rummel. L'attaque tentée de ce côté ayant échoué, le maréchal
Clauzel ordonna la retraite.
A peine le mouvement s'est-il dessiné que les indigènes sortent
en foule de la ville; d'autres accourent de tous les points de
l'horizon; 6 000 d'entre eux se jettent sur l'arrière-garde,
massacrant les malades et les blessés. L'héroïsme de Chan garnier,
qui fit former le carré à ses 300 hommes du 2e léger et chargea
l'ennemi à la baïonnette, ralentit la poursuite. Le vieux duc de
Caraman donna son cheval à un blessé et fit la route à pied.
Clauzel montra une remarquable fermeté; veillant à tout, se
portant sur les points menacés, relevant les courages par sa
tranquille vaillance. Le 1er décembre, l'armée rentra à Bône;
elle avait perdu un millier d'hommes, le huitième de l'effectif
engagé, moins par le feu de l'ennemi que par les maladies; elle
avait été vaincue par le froid, la faim et la fatigue. C'était en
réduction l'équivalent de la retraite de Russie. " Il faut,
dit le général Donop, avoir fait campagne dans ce pays par les
mauvais temps d'hiver, à 700, 800 ou 1 000 mètres d'attitude, sans
autre feu au bivouac que ceux des petits fagots dont on a eu le soin
de se munir; sans autres vivres que ceux du sac, parce que le convoi
n'a pas pu suivre, tenant de la main sa tente que le vent déchire
ou abat, ou courant après les chevaux qui s'enfuient affolés, pour
comprendre les souffrances que les pauvres troupes, à demi ruinées
au moment de se battre, subirent sur le plateau aride de Mansoura.
Et il faut avoir vu le plateau de Constantine dans la mauvaise
saison pour comprendre aussi l'impression que dut causer à ces
troupes la vue étonnante, tragique, presque sinistre, de ce rocher
à pic que surmontait un amas confus de maisons et de murailles
crénelées, qu'un ravin profond et un torrent déchaîné
entouraient et séparaient presque complètement de la campagne nue,
désolée et des montagnes abruptes, tandis que sous un ciel bas,
gris et triste, des rafales de neige glacée leur fouettaient le
visage. "
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