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En fractionnant le pouvoir entre
plusieurs chefs, Valée cherchait à éviter la faute commise
dans l'Ouest par le traité de la Tafna, qui avait
démesurément grandi Abd-el-Kader. C'était, en somme,
l'idée du protectorat qui reparaissait sous une autre forme;
faute d'une famille royale ou d'un prince, on s'adressait à
des chefs multiples pour gouverner le pays par leur
intermédiaire.
Le pouvoir des grands chefs ne pouvait se maintenir
indéfiniment; il était fatalement appelé à s'amoindrir et
à disparaître le jour où nous prendrions nous-mêmes en
main l'administration des indigènes. Cette disparition ne se
produisit pas sans secousses et il était difficile qu'il en
fût autrement. Le jour où il fallut sacrifier cette
aristocratie, elle ne se résigna pas sans peine à son
amoindrissement : "Ce que vous faites est juste devant
Dieu, disait l'un d'eux, car nous sommes tous fils d'Adam,
mais vous nous sacrifiez, nous autres djouad, qui vous
avions aidé à mettre de l'ordre dans ce pays. Ainsi, malgré
tous nos efforts, malgré tout notre sang répandu à votre
service, nous ne laisserons pas à nos enfants la
considération, la horma que nous avaient laissée nos
pères. " |
III |
ABD-EL-KADER ET SON GOUVERNEMENT.
L'HOMME
ET L'ŒUVRE |
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Après le traité de la Tafna, il
y eut, jusqu'à la proclamation de la guerre sainte par
Abd-el-Kader, deux ans et demi de paix relative entre la
France et l'émir (30 mai 1837-20 novembre 1839). C'est
pendant cette période que notre adversaire montra
véritablement du génie dans ses essais pour créer un État,
le pourvoir de ses organes, fonder une armée régulière,
étendre son autorité, détruire ses ennemis, grouper autour
de lui tous les indigènes. C'est à ce moment qu'il faut se
placer pour étudier l'homme et son oeuvre.
Abd-el-Kader nous est connu par de nombreux documents émanant
des Européens qui l'ont approché à des titres divers,
consuls comme Daumas, Français à son service comme Léon
Roches, prisonniers comme le lieutenant de vaisseau Alby.
Lui-même a beaucoup écrit. Il avait les qualités qui en
imposent aux indigènes. Il était élégant et beau, orateur
remarquable, très courageux, le plus vaillant, le plus habile
des cavaliers de sa tribu. Il était cruel ou généreux
suivant le besoin, bienveillant ou sévère par calcul.
En 1837, Abd-el-Kader a vingt-neuf ans. Léon Roches, Alby,
Berbrugger, de Lacroix, Scott nous ont tracé son portrait. Il
était de petite taille, ses pieds et ses mains étaient d'une
finesse et d'une blancheur extrêmes. |
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