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Il avait le teint mat, le front large et élevé, le nez
légèrement aquilin, les lèvres minces; les yeux, qu'il tenait
généralement baissés, étaient doux et très beaux; une barbe
noire encadrait son visage. Il affectait une extrême simplicité
dans ses vêtements; jamais d'or, jamais de broderies sur ses
burnous. Un jour, son frère Mustapha s'étant présenté devant lui
avec un burnous orné de glands d'or, l'émir, sans dire un mot,
s'approcha de lui et les coupa avec la lame d'un poignard. Il était
vêtu d'une chemise de toile très fine, d'un haïk qui, après
avoir fait le tour de la tête, enveloppait le corps, de deux
burnous, l'un blanc et l'autre noir, dont il rabattait le capuchon
sur sa tête; il avait les pieds nus dans des babouches. Il tenait
dans sa main droite un petit chapelet qu'il égrenait sans cesse.
Il avait un air de douceur mélancolique, avec quelque chose
d'ascétique : 1a physionomie d'un moine guerrier.
A Mascara, Abd-el-Kader habita la maison du bey, mais il ne s'y
plaisait pas et préférait la tente. D'ailleurs, toujours en
expédition, soit contre les Français, soit contre les tribus, se
déplaçant continuellement, l'habitation mobile était pour lui une
nécessité. Il se levait avec le jour, faisait la prière, puis
tenait conseil dans sa tente. Comme il dormait fort peu la nuit, il
faisait ordinairement la sieste, puis expédiait ses ordres. Chaque
jour il remplissait les fonctions d'imam, de directeur de la
prière, car le Prophète a dit que la prière en commun est la plus
agréable à Dieu; chaque jour aussi il prononçait un sermon, soit
dans sa tente, soit à la mosquée, si par hasard on se trouvait
dans une ville. Il disait que l'homme qui ne prie pas, à quelque
religion qu'il appartienne, est pire qu'un porc.
Sa frugalité était extrême; ses repas se composaient de rouïna,
farine délayée dans un peu d'eau, de fruits secs, de couscouss,
d'un peu de viande bouillie; comme boisson, du lait aigre et de
l'eau, rarement du café. Ses secrétaires et les personnages qui
l'entouraient goûtaient peu cette frugalité et ne l'imitaient pas
quand ils étaient hors de sa vue.
Abd-el-Kader avait une profonde vénération pour sa mère,
Lalla-Zohra ; il n'avait qu'une seule femme, sa cousine germaine
Zeïneb. Comme fortune personnelle, il ne possédait que l'espace
de terre que peuvent labourer en une saison deux paires de bœufs et
un troupeau de moutons dont la chair servait à offrir
l'hospitalité à ses visiteurs, la laine à tisser ses vêtements
et ceux de sa famille. Il ne se reconnaissait pas le droit de
toucher au Trésor pour ses besoins personnels, excepté pour
l'achat de chevaux et d'armes, comme cela est prescrit par le
Prophète. Il était le gardien le plus économe et le plus vigilant
de la richesse publique; il ne prélevait absolument rien sur les
impôts que lui versaient les tribus. Son seul luxe était celui des
chevaux, qu'il aimait beaucoup, en particulier un grand cheval noir
dont le sultan du Maroc lui avait fait présent et qui dansait au
son de la musique.
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