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  L' OCCUPATION RESTREINTE (1834-1840).  
     
   Il avait le teint mat, le front large et élevé, le nez légèrement aquilin, les lèvres minces; les yeux, qu'il tenait généralement baissés, étaient doux et très beaux; une barbe noire encadrait son visage. Il affectait une extrême simplicité dans ses vêtements; jamais d'or, jamais de broderies sur ses burnous. Un jour, son frère Mustapha s'étant présenté devant lui avec un burnous orné de glands d'or, l'émir, sans dire un mot, s'approcha de lui et les coupa avec la lame d'un poignard. Il était vêtu d'une chemise de toile très fine, d'un haïk qui, après avoir fait le tour de la tête, enveloppait le corps, de deux burnous, l'un blanc et l'autre noir, dont il rabattait le capuchon sur sa tête; il avait les pieds nus dans des babouches. Il tenait dans sa main droite un petit cha­pelet qu'il égrenait sans cesse. Il avait un air de douceur mélancolique, avec quelque chose d'ascétique : 1a physionomie d'un moine guerrier.

A Mascara, Abd-el-Kader habita la maison du bey, mais il ne s'y plaisait pas et préférait la tente. D'ailleurs, toujours en expédition, soit contre les Français, soit contre les tribus, se déplaçant continuellement, l'habitation mobile était pour lui une nécessité. Il se levait avec le jour, faisait la prière, puis tenait conseil dans sa tente. Comme il dormait fort peu la nuit, il faisait ordinairement la sieste, puis expédiait ses ordres. Chaque jour il remplissait les fonctions d'imam, de directeur de la prière, car le Prophète a dit que la prière en commun est la plus agréable à Dieu; chaque jour aussi il prononçait un sermon, soit dans sa tente, soit à la mosquée, si par hasard on se trouvait dans une ville. Il disait que l'homme qui ne prie pas, à quelque religion qu'il appartienne, est pire qu'un porc.
Sa frugalité était extrême; ses repas se composaient de rouïna, farine délayée dans un peu d'eau, de fruits secs, de couscouss, d'un peu de viande bouillie; comme boisson, du lait aigre et de l'eau, rarement du café. Ses secrétaires et les personnages qui l'entouraient goûtaient peu cette frugalité et ne l'imitaient pas quand ils étaient hors de sa vue.
Abd-el-Kader avait une profonde vénération pour sa mère, Lalla-Zohra ; il n'avait qu'une seule femme, sa cousine germaine Zeïneb. Comme fortune person­nelle, il ne possédait que l'espace de terre que peuvent labourer en une saison deux paires de bœufs et un troupeau de moutons dont la chair servait à offrir l'hospitalité à ses visiteurs, la laine à tisser ses vêtements et ceux de sa famille. Il ne se reconnaissait pas le droit de toucher au Trésor pour ses besoins personnels, excepté pour l'achat de chevaux et d'armes, comme cela est prescrit par le Prophète. Il était le gardien le plus économe et le plus vigilant de la richesse publique; il ne prélevait absolument rien sur les impôts que lui versaient les tribus. Son seul luxe était celui des chevaux, qu'il aimait beaucoup, en particulier un grand cheval noir dont le sultan du Maroc lui avait fait présent et qui dansait au son de la musique.

 
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