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  L' OCCUPATION RESTREINTE (1834-1840).  
     
   Lettré musulman, l'émir, même au milieu des préoccupations de la guerre, trouvait le temps de se livrer à l'étude. Après la prise de Mascara, il eut beaucoup de chagrin de voir sa bibliothèque tomber entre nos mains. Plus tard, dépouillé de tous ses titres, il en conserva un que la fortune ne pouvait lui ravir : celui d'homme de lettres. En 1852, lorsqu'il vint à Paris avant de se rendre à Damas, il demanda à faire partie de la Société asiatique. Il a laissé des poèmes et des ouvrages philosophiques. Ses vers sont assez difficilement traduisibles, comme ceux de toutes les poésies arabes dont le charme réside dans le rythme et dans les images.
Parmi ses ouvrages philosophiques, le plus connu est celui qui est intitulé : Rappel à l'intelligent, avis à l'indifférent. On y trouve des considérations intéressantes. La souveraineté spirituelle, celle des oulamas, est, dit Abd-el-Kader, supérieure à la souveraineté temporelle, celle des rois. « Deux choses constituent le monde et la religion : le sabre et la plume, mais la plume a la suprématie, le kalam taillé a pour esclave le sabre affilé. » On peut noter aussi un parallèle entre la religion de Moïse, purement matérielle, celle de Jésus purement spirituelle, et celle de Mohammed qui réunit ces deux caractères : « Ces trois religions n'en font qu'une et ne diffèrent que par des prescriptions de détail. » L'émir condamne les athées, ceux qui disent que le présent vaut mieux que le futur, le certain que l'incertain: « Que de choses, dit-il, ne fait-on pas dans un but incertain! La durée de cette vie est peu de chose comparée à ce qu'on dit de la durée de l'autre vie; si ce qu'on dit est un men­songe, il ne m'échappera que le repos et la jouissance pendant les jours de ma vie; mais si ce qu'on dit est vrai, je resterai dans le feu pendant l'éternité; entre ces deux choses, il n'y a aucun rapport d'égalité. » C'est le pari de Pascal.

Le camp d'Abd-el-Kader avait une forme circulaire; les tentes de l'infanterie en formaient les limites; celles de la cavalerie se trouvaient au milieu, les chevaux attachés au dehors et entravés par une corde; chaque tente renfermait quinze ou vingt hommes. Au centre du camp se trouvait la tente de l'émir, devant laquelle était ménagé un vaste espace libre; vingt esclaves nègres la gardaient. Elle était très vaste (15 mètres sur 6) et garnie intérieurement de draps de diverses couleurs; un rideau la séparait en deux parties : l'une réservée au sommeil de l'émir, l'autre dans laquelle il donnait ses audiences. Le sol était recouvert de tapis. Dans un coin étaient roulés six drapeaux en soie qu'on portait constamment devant lui lorsqu'il était en marche. Un tabouret assez élevé dont il se servait pour monter à cheval, un matelas sur lequel il s'étendait, des coffres renfermant son trésor et sa correspondance, quelques livres, des armes constituaient tout l'ameublement.

 
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