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Lettré musulman, l'émir, même au milieu des préoccupations de la
guerre, trouvait le temps de se livrer à l'étude. Après la prise
de Mascara, il eut beaucoup de chagrin de voir sa bibliothèque
tomber entre nos mains. Plus tard, dépouillé de tous ses titres,
il en conserva un que la fortune ne pouvait lui ravir : celui
d'homme de lettres. En 1852, lorsqu'il vint à Paris avant de se
rendre à Damas, il demanda à faire partie de la Société
asiatique. Il a laissé des poèmes et des ouvrages philosophiques.
Ses vers sont assez difficilement traduisibles, comme ceux de toutes
les poésies arabes dont le charme réside dans le rythme et dans
les images.
Parmi ses ouvrages philosophiques, le plus connu est celui qui est
intitulé : Rappel à l'intelligent, avis à l'indifférent.
On y trouve des considérations intéressantes. La souveraineté
spirituelle, celle des oulamas, est, dit Abd-el-Kader, supérieure
à la souveraineté temporelle, celle des rois. « Deux choses
constituent le monde et la religion : le sabre et la plume, mais la
plume a la suprématie, le kalam taillé a pour esclave le sabre
affilé. » On peut noter aussi un parallèle entre la religion de
Moïse, purement matérielle, celle de Jésus purement spirituelle,
et celle de Mohammed qui réunit ces deux caractères : « Ces trois
religions n'en font qu'une et ne diffèrent que par des
prescriptions de détail. » L'émir condamne les athées, ceux qui
disent que le présent vaut mieux que le futur, le certain que
l'incertain: « Que de choses, dit-il, ne fait-on pas dans un but
incertain! La durée de cette vie est peu de chose comparée à ce
qu'on dit de la durée de l'autre vie; si ce qu'on dit est un
mensonge, il ne m'échappera que le repos et la jouissance pendant
les jours de ma vie; mais si ce qu'on dit est vrai, je resterai dans
le feu pendant l'éternité; entre ces deux choses, il n'y a aucun
rapport d'égalité. » C'est le pari de Pascal.
Le camp d'Abd-el-Kader avait une forme circulaire; les tentes de
l'infanterie en formaient les limites; celles de la cavalerie se
trouvaient au milieu, les chevaux attachés au dehors et entravés
par une corde; chaque tente renfermait quinze ou vingt hommes. Au
centre du camp se trouvait la tente de l'émir, devant laquelle
était ménagé un vaste espace libre; vingt esclaves nègres la
gardaient. Elle était très vaste (15 mètres sur 6) et garnie
intérieurement de draps de diverses couleurs; un rideau la
séparait en deux parties : l'une réservée au sommeil de l'émir,
l'autre dans laquelle il donnait ses audiences. Le sol était
recouvert de tapis. Dans un coin étaient roulés six drapeaux en
soie qu'on portait constamment devant lui lorsqu'il était en
marche. Un tabouret assez élevé dont il se servait pour monter à
cheval, un matelas sur lequel il s'étendait, des coffres renfermant
son trésor et sa correspondance, quelques livres, des armes
constituaient tout l'ameublement.
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