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Abd-el-Kader s'intitulait aussi emir-el-moumenin, prince des
croyants, nadhirbit-et-mal, conservateur du trésor public,
nasser-ed-din, celui qui fait triompher la religion, el-moudjahed-
fi-sebil-Allah, le combattant de la cause de Dieu; quelquefois,
mais rarement semble-t-il, il prit le titre de khalifa-Allah-fi-ardihi,
lieutenant de Dieu sur la terre.
Si Abd-el-Kader désirait le pouvoir, ce n'était pas, comme le bey
de Constantine et comme tant d'autres chefs indigènes avant ou
après lui, pour satisfaire ses appétits et ses vices ; il était
sincèrement et profondément religieux. D'autre part, seul parmi
les musulmans de l'Afrique du Nord, il eut la conception d'un
véritable État, avec des fonctionnaires au service du pays et non
au sien propre, une caisse publique qui ne se confondait pas avec sa
cassette particulière, une armée régulière. Nous ne lui
laissâmes pas le temps de réaliser cette conception, à laquelle
d'ailleurs les indigènes, qui ne la comprenaient pas, refusèrent
en général de se rallier.
Deux moyens s'offraient à l'émir pour combattre les Français :
s'appuyer sur le sentiment religieux et emprunter aux chrétiens
leur organisation. Il employa ces deux moyens simultanément, bien
qu'ils fussent assez difficilement conciliables.
Le gouvernement d'Abd-el-Kader était essentiellement théocratique.
Il interdisait sévèrement le jeu, le tabac, la prostitution. Il
exigeait la stricte observation des pratiques religieuses,
s'efforçait de propager l'instruction, de faire régner la justice
: « Mon devoir, disait-il, comme chef et comme musulman, était de
relever la religion et la science. Afin que la religion, par
laquelle seule nous pouvions lutter contre vous, se ravivât
partout, dans les villes comme dans les tribus, j'avais établi des
écoles où l'on apprenait aux enfants leurs prières, les plus
importants préceptes du Coran, enfin la lecture et l'écriture.
Comme l'instruction, j'avais partout organisé la justice. J'ai
voulu qu'aucune exécution capitale ne pût avoir lieu que
conformément à la loi de Dieu, dont je ne me considérais que
comme le lieutenant. J'ai fait mettre à mort bien des individus,
mais jamais sans jugement. Grâce à la surveillance de mes khalifas,
les routes étaient devenues si sûres qu'on avait renoncé à
entraver les chevaux pendant la nuit et qu'une femme pouvait sortir
seule sans crainte d'être insultée. » Mais Abd-el-Kader se heurta
aux obstacles que rencontrent tous les gouvernements théocratiques,
obstacles qu'ont connus Charlemagne et Grégoire VII. Les indigènes
de l'Afrique du Nord, capables de fanatisme dans un moment de
surexcitation, sont au fond très peu religieux. Un jour, dans un
combat contre les Français, un caïd, voyant un cavalier
s'éloigner du champ de bataille, lui cria « As-tu peur de la mort?
Ne sais-tu pas que si tu meurs en combattant l'infidèle, quarante
houris t'attendent au ciel? - Fathma me suffit », répondit l'autre
sans se retourner.
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