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  L' OCCUPATION RESTREINTE (1834-1840).  
     
   Abd-el-Kader s'intitulait aussi emir-el-moumenin, prince des croyants, nadhir­bit-et-mal, conservateur du trésor public, nasser-ed-din, celui qui fait triompher la religion, el-moudjahed- fi-sebil-Allah, le combattant de la cause de Dieu; quelquefois, mais rarement semble-t-il, il prit le titre de khalifa-Allah-fi-ardihi, lieutenant de Dieu sur la terre.
Si Abd-el-Kader désirait le pouvoir, ce n'était pas, comme le bey de Constan­tine et comme tant d'autres chefs indigènes avant ou après lui, pour satisfaire ses appétits et ses vices ; il était sincèrement et profondément religieux. D'autre part, seul parmi les musulmans de l'Afrique du Nord, il eut la conception d'un véritable État, avec des fonctionnaires au service du pays et non au sien propre, une caisse publique qui ne se confondait pas avec sa cassette particulière, une armée régulière. Nous ne lui laissâmes pas le temps de réaliser cette conception, à laquelle d'ailleurs les indigènes, qui ne la comprenaient pas, refusèrent en général de se rallier.
Deux moyens s'offraient à l'émir pour combattre les Français : s'appuyer sur le sentiment religieux et emprunter aux chrétiens leur organisation. Il employa ces deux moyens simultanément, bien qu'ils fussent assez difficilement conciliables.
Le gouvernement d'Abd-el-Kader était essentiellement théocratique. Il interdisait sévèrement le jeu, le tabac, la prostitution. Il exigeait la stricte observation des pratiques religieuses, s'efforçait de propager l'instruction, de faire régner la justice : « Mon devoir, disait-il, comme chef et comme musulman, était de relever la religion et la science. Afin que la religion, par laquelle seule nous pouvions lutter contre vous, se ravivât partout, dans les villes comme dans les tribus, j'avais établi des écoles où l'on apprenait aux enfants leurs prières, les plus importants préceptes du Coran, enfin la lecture et l'écriture. Comme l'instruction, j'avais partout organisé la justice. J'ai voulu qu'aucune exécution capitale ne pût avoir lieu que conformément à la loi de Dieu, dont je ne me considérais que comme le lieutenant. J'ai fait mettre à mort bien des individus, mais jamais sans jugement. Grâce à la surveillance de mes khalifas, les routes étaient devenues si sûres qu'on avait renoncé à entraver les chevaux pendant la nuit et qu'une femme pouvait sortir seule sans crainte d'être insultée. » Mais Abd-el-Kader se heurta aux obstacles que rencontrent tous les gouvernements théocratiques, obstacles qu'ont connus Charlemagne et Grégoire VII. Les indigènes de l'Afrique du Nord, capables de fanatisme dans un moment de surexcitation, sont au fond très peu religieux. Un jour, dans un combat contre les Français, un caïd, voyant un cavalier s'éloigner du champ de bataille, lui cria « As-tu peur de la mort? Ne sais-tu pas que si tu meurs en combattant l'infidèle, quarante houris t'attendent au ciel? - Fathma me suffit », répondit l'autre sans se retourner.
 
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