L'organisation administrative
donnée à l'Algérie par Abd-el-Kader répondait bien à la
structure physique et sociale du pays. Quoiqu'il ait
prétendu ne rien emprunter aux Turcs, qu'il détestait, son
système en réalité n'est pas sans rappeler le leur. Avec
lui, il y a encore des makhzens et des raïas,
mais en général les anciens makhzens deviennent
raïas et les anciens raïas deviennent makhzens.
Abd-el-Kader divisa l'Algérie en un certain nombre de khalifaliks
ou grands gouvernements. Chaque khalifalik était partagé
en aghaliks, chaque aghalik en caïdats, chaque caïdat en
cheikhats. Les khalifas ou gouverneurs de province
réunissaient entre leurs mains tous les pouvoirs civils et
militaires ; il en était d'ailleurs de même des
fonctionnaires d'ordre inférieur qui leur étaient
subordonnés; point de séparation des pouvoirs, point de
conflits d'autorité. Les chefs, chacun dans leur sphère,
étaient responsables du maintien de l'ordre et de
l'exécution des lois religieuses ; en temps de guerre, ils
se mettaient à la tête des contingents qu'ils avaient
amenés.
Les choix de l'émir furent guidés par deux
considérations : le dévouement à sa personne et
l'influence traditionnelle sur les populations. Il écarta
autant que possible la noblesse militaire, les djouad,
et les anciens représentants du gouvernement turc et donna
la préférence à la noblesse religieuse, aux marabouts et
aux cheurfas. Il renonça à l'ancien système d'après
lequel chaque nouveau promu payait en échange du burnous
d'investiture une somme d'argent proportionnelle aux
bénéfices de sa fonction. Il avait essayé de remédier à
la vénalité des charges, qui est la grande plaie des pays
musulmans et s'efforçait de protéger les indigènes contre
les exactions des chefs; mais il ne se faisait pas
d'illusion sur les résultats.
Les circonscriptions administratives tracées par
Abd-el-Kader étaient d'importance et d'étendue inégales;
les limites variaient selon qu'il voulait agrandir ou
diminuer l'influence des titulaires du commandement, et le
nom même changeait suivant que telle ou telle tribu
exerçait la prépondérance. En 1839, au moment où la
puissance de l'émir était à son plus haut degré, on
comptait neuf khalifaliks : celui de Mascara, confié à
Mustapha-ben-Thami, cousin et beau-frère de l'émir, très
instruit, très dévoué, mais très poltron; celui de
Tlemcen, donné à Bou-Hamadi, marabout originaire des
Traras, rude et sauvage, mais courageux, actif, infatigable; |