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  LA CONQUÊTE INTÉGRALE - BUGEAUD ET ABD-EL-KADER (1840-1848)  
     
   En 1841, Bugeaud a cinquante-sept ans. " Il était de haute stature, dit un de ses secrétaires, et d'une vigueur peu commune; il avait le visage plein et musculeux, légèrement gravé de petite vérole; le teint fortement coloré, l'œil gris clair, le regard perçant mais adouci dans la vie ordinaire par l'expression d'une sympathique bienveillance; le nez légèrement aquilin, la bouche un peu grande, la lèvre fine et railleuse. Quand la physionomie, empreinte de franchise et de simplicité, s'animait tout à coup sous le choc d'une pensée rapide, le génie rayonnait sur son front large et puissant, couronné de cheveux très rares qui pointaient en flammes argentées. " Son activité de corps et d'esprit était prodigieuse. Il dormait fort peu et ne craignait pas de réveiller son entourage lorsque le sommeil le fuyait; il écrivait rarement lui-même, et toujours lentement et d'une main mal assurée; mais ses secrétaires étaient continuellement occupés à écrire sous sa dictée. Travailleur infatigable, il mettait ses collaborateurs sur les dents ; mais son esprit, sa gaieté, son entrain, sa bonhomie le faisaient aimer de ceux qui vivaient dans son intimité. Paternel et grondeur, bourru bienfaisant, ses travers accentuaient sa physionomie. Il aimait à parler et professait toujours. C'était un merveilleux conteur, sachant donner à ses récits un tour pittoresque et original.

Il n'était pas toujours facile à vivre. " Quand, dit Guizot, le Roi, sur la demande du cabinet, nomma le général Bugeaud gouverneur général de l'Algérie, je ne me dissimulai point les conséquences de ce choix et les obligations, j'ajoute les difficultés qu'il nous imposait. Le général Bugeaud n'était pas un officier à qui l'on pouvait donner telles ou telles instructions, avec la certitude qu'il se bornerait à les exécuter de son mieux et à faire son chemin dans sa carrière en contentant ses chefs. C'était un homme d'un esprit original et indépendant, d'une imagination fervente et féconde, d'une volonté ardente, qui pensait par lui-même et faisait une grande place à sa propre pensée, en servant le pouvoir de qui il tenait sa mission. Ni l'éducation, ni l'étude n'avaient, en la développant, réglé sa forte nature. Jeté de bonne heure dans les rudes épreuves de la vie militaire et trop tard dans les scènes compliquées de la vie politique, il s'était formé par ses seules observations et sa propre expérience, selon les instincts d'un bon sens hardi qui manquait quelquefois de mesure et de tact, jamais de justesse ou de puissance. Il avait sur toutes choses, en particulier sur la guerre et les affaires d'Algérie, ses idées à lui, ses plans, ses résolutions et non seulement il les poursuivait en fait, mais il les proclamait d'avance en toute occasion, à tout venant, dans ses conversations, dans ses correspondances, avec une force de conviction et une verve de parole qui allaient croissant à mesure qu'il rencontrait la contradiction et le doute.

 
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