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Il s'entendait très mal avec Bugeaud, qui se plaignait des
aspérités de son caractère altier et orgueilleux. Une des
altercations entre les deux hommes est demeurée célèbre; comme
Changarnier déclarait qu'il faisait la guerre depuis longtemps et
croyait savoir son métier, Bugeaud lui répondit que le mulet du
maréchal de Saxe avait fait vingt campagnes et n'en était pas
moins resté un mulet. Aussi, en 1843, ayant reçu sa troisième
étoile, Changarnier demanda à rentrer en France et ne revint en
Afrique qu'en 1847, après le départ du maréchal.
Bugeaud cependant rendait justice à Changarnier : " Que de
fois, raconte le duc d'Aumale, l'ai-je entendu établir un
parallèle entre ses lieutenants, en faisant ce geste - il tenait
écartés les trois doigts de la main. Le premier, disait-il en
prenant le pouce de l'autre main et en le secouant durant sa
démonstration, c'est Changarnier, méchant caractère, mauvais
coucheur, mais rude soldat, le plus fort, le meilleur de tous mes
généraux. Ensuite vient Bedeau, et en même temps il abaissait son
pouce; c'était son index qui représentait le second général.
Celui-là est un homme de devoir et de conscience, solide et qui ne
bronche pas au feu. Puis enfin arrive La Moricière, faisait-il en
touchant le médium; il est vaillant, infatigable, débrouillard
sans doute, mais doctrinaire ; il discute sans cesse, ergote,
hésite et n'aime pas les responsabilités; enfin, c'est mon numéro
trois. "
En sous-ordre venaient des officiers plus jeunes qui étaient
déjà des chefs remarquables et devaient presque tous devenir
d'illustres généraux. Cavaignac, élève de l'école Polytechnique
comme La Moricière, d'opinion républicaine, était l'homme du
devoir et de la probité, le cœur le plus droit et le plus loyal;
on ne lui reprochait que son sombre accueil, son aspect triste et sévère,
sa constante tristesse. Il était en Algérie depuis 1833. " A
d'autres les occasions de gloire facile, les colonnes d'assaut à
conduire, les positions à enlever, les coups de main brillants à
diriger, à Cavaignac les besognes plus pénibles et moins fécondes
en renommée éclatante. " Il fut promu lieutenant général en
1843 sur l'insistance du duc d'Aumale " Il faut le nommer,
disait le prince, autrement on aurait l'air de lui donner de
mauvaise grâce les grades que tout le monde sait qu'il a gagnés.
" Duvivier, brave, intelligent, honnête, mais homme à
systèmes, rude, cassant, prétentieux, venu en Algérie en 1830
comme capitaine du génie, avait commandé les zouaves et était
devenu maréchal de camp en 1840 ; dans ses écrits sur l'Algérie,
il procède par affirmations tranchantes et semble toujours énoncer
des vérités éternelles, indiscutables, comme une sorte de
prophète. Le jeune duc d'Aumale, quatrième fils de Louis-Philippe,
était venu en Algérie en 1840 avec son frère le duc d'Orléans;
il y revint en 1841 comme colonel du 24e de ligne, pour servir sous
les ordres de Bugeaud : " je vous prie, écrivait-il au
gouverneur, de ne m'épargner ni fatigues, ni quoi que ce soit.
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