" Ce sont les jambes de nos soldats qui nous donneront le pays,
disait-il; le fusil ne commande que deux à trois cents mètres, les
jambes quarante à cinquante lieues. "
Déjà, en 1838, au camp de la Tafna, il avait exposé ses idées
sur la guerre d'Afrique. Aussitôt arrivé, il ordonna d'embarquer
les canons de campagne, les prolonges du génie, les chariots de
l'administration, enfin de ne garder que les chevaux de trait pour
les transformer en bêtes de somme, voulant, disait-il, se rendre
sinon aussi léger que les indigènes, du moins assez mobile pour
passer partout. Les officiers supérieurs lui firent remarquer que
l'artillerie soutenait le moral des soldats et éloignait les Arabes
de nos colonnes : " Messieurs, répondit Bugeaud, vous dites
que les soldats sentent relever leur confiance par l'artillerie; je
connais depuis longtemps ce sentiment en Europe et il est bien
fondé, mais il faut leur apprendre qu'il ne l'est pas du tout en
Afrique. Quoi! vous ne pourrez pas combattre sans canon des Arabes
qui n'en n'ont pas, lorsque vous possédez déjà de plus qu'eux
trois avantages énormes : l'organisation, la discipline et la
tactique? Vous dites que le canon éloigne les Arabes : mais je ne
veux pas les éloigner, je veux au contraire leur donner de la
confiance, afin de les engager dans un combat sérieux. L'absence de
canon, messieurs, a bien d'autres avantages. D'abord, vos marches
vous prendront moitié moins de temps et vous donneront infiniment
moins de fatigues, car vous n'aurez pas besoin, comme par le passé,
de faire une route pour l'artillerie. Mais surtout vous pourrez
éviter de donner nécessairement, fatalement dans les guêpiers que
les Arabes savent si bien disposer dans les gorges où votre
matériel vous forcera de passer. Or, je vous en préviens, nous ne
ferons jamais retraite devant les Arabes qu'après les avoir
complètement dispersés et dégoûtés. Se retirer devant eux,
c'est leur donner les avantages que leur refuse leur manque
d'organisation. En marchant à eux au contraire, vous augmentez la
confusion et surtout vous frappez le moral. On court toujours sur
l'ennemi qui fuit; on respecte celui qui présente le combat; on
craint celui qui présente l'offensive. Ces vérités trouvent leur
application en Afrique encore mieux qu'en Europe. Là, il faut
nécessairement s'en aller devant un ennemi très supérieur, car
tenir serait courir à sa destruction. Au contraire, quel que soit
le nombre des Arabes, il faut marcher à eux, parce que le nombre,
passé un certain chiffre, n'ajoute rien à leur force, parce qu'il
leur est impossible d'enfoncer un bataillon, parce qu'enfin ils
n'ont aucun moyen d'utiliser leur multitude contre des adversaires
qui ne fuient pas devant eux. "
Dans un Mémoire sur la guerre dans la province d'Oran et sur
les moyens de la terminer, Bugeaud résumait les idées que lui
avait suggérées la campagne de la Tafna et insistait sur les
modifications nécessaires des méthodes de guerre en Afrique :
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