" Il faut, disait-il, persévérer dans le système des
colonnes agissantes, parcourant le pays et combattant l'ennemi
partout où il se présente, ne lui laissant ni sécurité ni repos.
De plus, il faut que les troupes soient composées d'hommes choisis,
vigoureux, de volontaires s'il se peut; que les officiers soient
jeunes, gens d'avenir; point de vieux officiers supérieurs voisins
de leur retraite, point même de vieux capitaines dégoûtés.
"
On renonça à tout ce qui alourdissait. Au lieu de voitures, on
employa des mulets, sur l'utilité desquels Bugeaud a souvent
insisté : " Ce qu'il faut pour faire la guerre avec succès,
écrivait-il, ce sont des brigades de mulets militairement
organisées, afin de ne pas dépendre des habitants du pays, de
pouvoir se porter partout avec légèreté et de ne pas charger les
soldats comme on le fait. Beaucoup succombent sous le poids et les
plus forts ont besoin d'être conduits avec une lenteur telle qu'il
est impossible de faire de ces mouvements rapides qui seuls peuvent
donner le succès. Des mulets militairement organisés me paraissent
être la meilleure base de la guerre d'Afrique. Il faudrait 80 à
100 mulets pour 1 000 hommes; ils porteraient 10 000 rations; les
soldats auraient dans de petits sacs une réserve de quatre jours;
ce serait donc quatorze jours de vivres, ce qui est très suffisant
pour les campagnes que l'on peut faire dans ce pays. " Lorsque
les campagnes duraient plus de quinze jours, on se
réapprovisionnait dans les postes-magasins. Le sac des hommes ne
contint plus que des cartouches et des vivres, la couverture étant
roulée sur le sac.
L'habillement fut modifié. Les soldats avaient d'immenses
gibernes, suspendues à la chute des reins par un large baudrier,
qui, se croisant sur la poitrine avec le baudrier du sabre, formait
une croix de Saint-André qui coupait la respiration. La gorge
râlait, étranglée par le col en crin et le collet de l'habit
droit et agrafé; la tête pliait sous le poids de l'énorme shako
conique; Bugeaud donna aux soldats des vêtements larges, remplaça
le col par la cravate en cotonnade, le shako par un képi léger et
mou. Deux ordonnances royales du 7 décembre 1841 réglementèrent
l'organisation de l'infanterie et de la cavalerie indigènes. Les
bataillons d'infanterie indigène prirent le nom de tirailleurs
indigènes et les spahis furent désormais distincts des chasseurs
d'Afrique, comme les tirailleurs des zouaves. Yusuf fut le premier
colonel des spahis, qui, en 1845, furent répartis en trois
régiments, un par province.
Bugeaud savait parler au soldat et se faire aimer de lui ;
vigilant et actif, il s'occupait des moindres détails; on le vit un
jour en marche descendre de cheval pour aider un muletier à
remettre ses sacs sur le bât retourné.
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