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  LA CONQUÊTE INTÉGRALE - BUGEAUD ET ABD-EL-KADER (1840-1848)  
     
   Lorsque celui-ci se présenta au col de Guerbous, il y trouva un détachement de spahis commandé par le lieutenant indigène Mohammed-ben-Khouïa, qui le reçut à coups de fusil. Il était deux heures du matin, la nuit était très noire, il tombait une pluie torrentielle; l'officier qui commandait le poste avait peine à reconnaître dans ce groupe de fugitifs l'émir jadis puissant et ses derniers compagnons. Abd-el-Kader, préférant se rendre aux Français plutôt qu'aux Marocains, fit porter sa demande d'aman à La Moricière ; il offrait de se soumettre pourvu qu'on lui permît de se retirer à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Acre ; La Moricière accepta ces conditions. Le 23 décembre 1847, au marabout de Sidi-Brahim, théâtre des derniers succès de l'émir, Abd-el-Kader se rendit au colonel Cousin-Montauban, qui lui fit rendre les honneurs au milieu de l'émotion générale. Le duc d'Aumale, débarqué le matin même à Nemours, le reçut immédiatement et confirma les promesses de La Moricière : " Il y a longtemps, dit l'émir, que tu devais désirer ce qui s'accomplit aujourd'hui; tout se passe selon la volonté de Dieu. " Il offrit au prince la belle jument noire qu'il montait : " C'est, dit-il, la seule chose que je possède et que j'estime en ce moment. - Je l'accepte, répondit le prince, comme gage de ta soumission à la France et de la paix de l'Algérie. "

Les promesses de La Moricière et du duc d'Aumale ne furent tenues que quelques années plus tard. Abd-el-Kader fut d'abord conduit à Toulon avec 90 personnes, dont 25 de sa famille, notamment sa mère, sa femme, son beau-frère Mustapha-ben-Thami. La révolution de Février ajourna son départ pour l'Orient; il fut transféré d'abord à Pau, puis à Amboise. En 1852 seulement il fut mis en liberté et conduit à Brousse; il s'établit ensuite à Damas, où, lors des massacres de 1860, il sauva la vie à près de 400 chrétiens en les abritant dans sa demeure; son loyalisme ne se démentit jamais; il mourut en 1883, vénéré des musulmans et protégeant les chrétiens d'Orient.

Abd-el-Kader avait été pendant quinze ans le plus redoutable et le plus persévérant de nos adversaires; il avait su se créer des ressources et discipliner dans une certaine mesure un peuple indisciplinable ; vaincu, il avait longtemps déjoué toutes les poursuites; fugitif et émigré, il nous avait causé autant d'embarras qu'aux jours de sa plus grande puissance. Il avait sur ses compatriotes une supériorité qu'ils comprenaient instinctivement; sa simplicité, ses mœurs austères, sa foi ardente, son invincible ténacité font de lui une grande figure historique. On peut dire, et c'est à son éloge, que du jour de sa reddition date vraiment la conquête de l'Algérie par les Français. Il y eut encore des soumissions à obtenir et des révoltes à réprimer, mais la résistance sérieuse était finie et la période des grandes guerres d'Afrique définitivement close.

 
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