Lorsque celui-ci se présenta au col de Guerbous, il y trouva un
détachement de spahis commandé par le lieutenant indigène
Mohammed-ben-Khouïa, qui le reçut à coups de fusil. Il était
deux heures du matin, la nuit était très noire, il tombait une
pluie torrentielle; l'officier qui commandait le poste avait peine
à reconnaître dans ce groupe de fugitifs l'émir jadis puissant et
ses derniers compagnons. Abd-el-Kader, préférant se rendre aux
Français plutôt qu'aux Marocains, fit porter sa demande d'aman à
La Moricière ; il offrait de se soumettre pourvu qu'on lui permît
de se retirer à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Acre ; La Moricière
accepta ces conditions. Le 23 décembre 1847, au marabout de
Sidi-Brahim, théâtre des derniers succès de l'émir, Abd-el-Kader
se rendit au colonel Cousin-Montauban, qui lui fit rendre les
honneurs au milieu de l'émotion générale. Le duc d'Aumale,
débarqué le matin même à Nemours, le reçut immédiatement et
confirma les promesses de La Moricière : " Il y a longtemps,
dit l'émir, que tu devais désirer ce qui s'accomplit aujourd'hui;
tout se passe selon la volonté de Dieu. " Il offrit au prince
la belle jument noire qu'il montait : " C'est, dit-il, la seule
chose que je possède et que j'estime en ce moment. - Je l'accepte,
répondit le prince, comme gage de ta soumission à la France et de
la paix de l'Algérie. "
Les promesses de La Moricière et du duc d'Aumale ne furent
tenues que quelques années plus tard. Abd-el-Kader fut d'abord
conduit à Toulon avec 90 personnes, dont 25 de sa famille,
notamment sa mère, sa femme, son beau-frère Mustapha-ben-Thami. La
révolution de Février ajourna son départ pour l'Orient; il fut
transféré d'abord à Pau, puis à Amboise. En 1852 seulement il
fut mis en liberté et conduit à Brousse; il s'établit ensuite à
Damas, où, lors des massacres de 1860, il sauva la vie à près de
400 chrétiens en les abritant dans sa demeure; son loyalisme ne se
démentit jamais; il mourut en 1883, vénéré des musulmans et
protégeant les chrétiens d'Orient.
Abd-el-Kader avait été pendant quinze ans le plus redoutable et
le plus persévérant de nos adversaires; il avait su se créer des
ressources et discipliner dans une certaine mesure un peuple
indisciplinable ; vaincu, il avait longtemps déjoué toutes les
poursuites; fugitif et émigré, il nous avait causé autant
d'embarras qu'aux jours de sa plus grande puissance. Il avait sur
ses compatriotes une supériorité qu'ils comprenaient
instinctivement; sa simplicité, ses mœurs austères, sa foi
ardente, son invincible ténacité font de lui une grande figure
historique. On peut dire, et c'est à son éloge, que du jour de sa
reddition date vraiment la conquête de l'Algérie par les
Français. Il y eut encore des soumissions à obtenir et des
révoltes à réprimer, mais la résistance sérieuse était finie
et la période des grandes guerres d'Afrique définitivement close.
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