Adopter un système, quelque bon, quelque puissant qu'il soit, à
l'exclusion des autres, ce serait rendre l'œuvre plus difficile et
ses résultats plus lents. Tel mode, excellent dans telle localité,
échouerait sur un autre point. "
Bugeaud a marqué sa forte empreinte sur la colonisation
algérienne; il a posé les fondements du système de la
colonisation officielle, qui a reçu par la suite des modifications
diverses, mais qui a toujours été pratiqué depuis lors en
Algérie avec plus ou moins d'activité. Après la dure expérience
de 1839, il n'était plus possible de laisser la population
s'installer au gré de sa fantaisie, livrée à tous les hasards de
la guerre et de l'insécurité. Désormais, le gouvernement prend à
son compte l'œuvre de la colonisation; il détermine lui-même
l'emplacement des villages, fait le lotissement des terrains urbains
et ruraux, désigne les colons auxquels ces terrains seront
concédés sous certaines clauses et réserves. La colonisation par
villages et la concession gratuite, tels sont les deux principes
essentiels; ce système a été critiqué, mais il a réussi
finalement à assurer le peuplement français de l'Algérie.
L'idée moderne du peuplement paraît d'ailleurs avoir moins
frappé Bugeaud que la possibilité d'une part d'assurer la
subsistance de l'armée, d'autre part de consolider l'action
militaire et au besoin d'y suppléer. Il concevait surtout les
immigrants comme une garnison permanente qui permettrait de réduire
l'effectif des troupes : " La colonisation, dit-il, libère
l'armée et garde la conquête. " Il était d'ailleurs d'accord
sur ce point avec le gouvernement : "La colonisation, écrivait
le maréchal Soult, est le premier élément de conservation; elle
peut nous donner en peu d'années un moyen de pourvoir suffisamment
à la défense de l'Algérie sans engager plus qu'il ne convient les
forces et l'argent du pays. " Appuyer les mouvements de
l'armée et participer à la défense du pays, voilà ce que Bugeaud
exige avant tout des colons. On est au lendemain des massacres de
1839 qui ont ruiné la colonisation libre, au lendemain aussi de la
crise européenne de 1840 qui a failli nous valoir la guerre sur le
Rhin. La population fut organisée en milices placées sous
l'autorité du commandant supérieur du cercle ou de ses
lieutenants. " Le colon africain, dit Bugeaud, ne devra jamais
laisser rouiller son fusil; il le tiendra toujours prêt à faire
feu et s'en servira avec adresse; mais pour cela il est nécessaire
que la milice soit très militairement constituée. Je n'entends pas
assurément enlever aux communes africaines le régime municipal,
ni, en ce qui touche leur administration intérieure, la douceur et
l'égalité de nos lois, mais je veux, dans leur intérêt le plus
cher, celui de leur conservation, que les milices soient
disciplinées, obéissantes, pour combattre les Arabes; qu'elles
sachent faire avec légèreté un petit nombre de mouvements, bien
charger leurs armes et tirer avec justesse; qu'elles aient surtout
l'intelligence du combat en tirailleurs et qu'elle soient animées
de cette confiance guerrière qui préviendra ou repoussera les
tentatives des Arabes ".
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