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Les Saint-Simoniens en particulier étaient nombreux en Algérie. La
Moricière, Louis Jourdan, Carette, Berbrugger, Warnier, Urbain,
Arlès-Dufour avaient adhéré à la doctrine de Saint-Simon. Membre
de la Commission scientifique de l'Algérie, Enfantin avait
séjourné dans le pays de 1839 à 1841. La colonie lui était
apparue comme un excellent terrain pour y fonder des établissements
civils et militaires complètement régis par l'État, en un mot
pour y tenter des expériences de socialisme. Ainsi l'Algérie et
l'Égypte dont les Saint-Simoniens, comme on sait, se sont beaucoup
préoccupés, deviendraient les deux régions destinées à opérer
la réconciliation de l'Orient et de l'Occident, de l'islam et du
christianisme. Avec Louis Jourdan, Carette et Warnier, Enfantin
fonda en 1843 le journal l'Algérie, qui inscrivit à son
programme la colonisation par l'État, l'emploi de l'armée aux
travaux publics, la fondation d'établissements financiers, la
création de rapports commerciaux avec le Soudan. L'ouvrage
d'Enfantin sur la Colonisation de l'Algérie renferme des
aperçus intéressants mêlés à des vues utopiques. Il
recommandait l'association du capital et du travail, l'exploitation
du sol par des groupes de familles organisées en compagnies et en
ateliers, sous la direction de savants, en l'espèce des officiers
du génie ou des ingénieurs sortis de l'École Polytechnique.
Le Saint-Simonisme insistait sur la nécessité d'une
organisation et d'une discipline en matière économique; il
signalait les dangers de l'individualisme tel que le comprenaient
les économistes orthodoxes. Les Fouriéristes étaient plus
soucieux de la liberté individuelle, mais, aux yeux de l'opinion
publique, être disciple d'Enfantin ou de Fourier, c'était, comme
le disait Pierre Leroux, à peu près la même chose. Bugeaud, bien
qu'il se séparât des Saint-Simoniens sur certains points, adoptait
plusieurs de leurs idées. On le vit même un jour, spectacle qui ne
manquait pas de saveur, assister à un grand banquet de
phalanstériens pour l'anniversaire de la naissance de Fourier et
porter le toast traditionnel à l'abolition des armées destructives
et à leur transformation en armées industrielles et productives.
Enfantin et Bugeaud s'accordaient pour attribuer la médiocrité des
résultats obtenus dans la colonisation de l'Algérie à l'absence
de méthode et de continuité dans l'effort; ils proclamaient tous
deux la nécessité de la discipline, le bienfait du principe
d'autorité. Bugeaud s'est certainement inspiré de ces doctrines
dans sa conception de la colonisation officielle et les colonies
agricoles de 1848 ne furent en somme qu'une application du même
système.
Cependant les Saint-Simoniens, à l'encontre du maréchal,
étaient en général favorables aux grandes concessions. La
Moricière s'en montrait partisan, par réaction contre le
caporalisme excessif de son chef.
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