Cependant l'Assemblée nationale commençait à avoir des doutes sur
l'efficacité de son oeuvre. Avant d'aller plus loin, elle voulut
s'éclairer sur les résultats de la première expérience. Une
commission d'enquête fut nommée par un arrêté du ministre de la
Guerre du 20 juin 1849, à l'effet de dresser un rapport
circonstancié sur la situation des colonies agricoles fondées en
Algérie par application de la loi du 19 septembre 1848; elle devait
examiner la situation matérielle et morale de ces colonies, voir ce
qui avait été fait et ce qui restait à faire. Elle devait en
outre donner son avis sur la question de savoir s'il convenait de
doter les colons du régime civil et dire s'il fallait en envoyer de
nouveaux.
La commission, présidée par de Rance, choisit comme rapporteur
Louis Reybaud, l'auteur de Jérôme Paturot, ouvrage très lu à
cette époque, dont le héros, à la fin du livre, part pour
l'Algérie comme inspecteur général de la civilisation arabe. Les
commissaires, débarqués à Alger le 2 juillet, firent deux mois de
voyages pénibles en plein été pour visiter les 42 colonies
agricoles; le 23 août, ils envoyèrent un premier exposé de leurs
travaux et des indications sur les mesures les plus urgentes; le
rapport détaillé de Louis Reybaud fut adressé au ministre de la
Guerre le 16 novembre 1849.
Le rapporteur observait avec raison que le principal vice des
colonies résidait dans leur composition même; former des colonies
agricoles à Paris avec des Parisiens était un non-sens ; c'était
de la compassion, de l'humanité, mais non de la colonisation. Les
immigrants étaient presque tous impropres à la vie des champs et
sans goût pour elle; ils avaient montré beaucoup de bonne
volonté, mais ils avaient pu se rendre compte que l'agriculture est
une carrière ingrate quand on y entre vers le milieu ou le déclin
de la vie, car elle exige beaucoup de patience, de vigueur et de
santé; la différence du climat accroissait d'ailleurs les peines
et les mécomptes. Les colons comprirent qu'on leur avait demandé
l'impossible.
Ces hommes, recrutés en grande partie dans les rangs des
socialistes, étaient d'ailleurs ennemis de toute espèce de
communauté, d'association, de travail en commun. " Pas une
bouche qui ne demandât la division des lots, la division des
tâches et le partage des produits. La perspective d'une solidarité
dans la besogne aigrissait les esprits et décourageait les bras;
elle suffisait pour que la moisson séchât sur pied ou restât
éparse en javelles. " Les colonies nouvelles avaient
néanmoins maintenu leurs cadres et accompli leur première
évolution; elles renfermaient un tiers de bons éléments, un tiers
de médiocres, un tiers de mauvais. Il ne fallait pas se
décourager, mais apporter aux nouveaux centres un concours plus
efficace et mieux dirigé, n'y admettre ni célibataires, ni
ouvriers d'art.
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