Au total, 85 villages nouveaux sont créés et 250 000 hectares
concédés de 1851 à 1860. Mais l'apport nouveau n'est que de 14 à
15 000 âmes, alors que dans la période précédente, pour une
moindre superficie aliénée, l'accroissement de la population
rurale avait atteint 40 000 âmes. C'est que la faveur est aux
grandes concessions, qui se montrent inefficaces au point de vue du
peuplement et le plus souvent imparfaites au point de vue de la mise
en valeur. Les procédés de la colonisation officielle subsistent,
mais l'esprit qui l'avait animée au temps de Bugeaud s'est
évanoui. Cependant, comme en matière de colonisation chaque
période recueille des résultats des efforts faits pendant la
période précédente et que les anciens centres continuent à se
développer, le chiffre des ruraux s'élève à 86 000. La
colonisation libre, encouragée par de bonnes récoltes en 1852 et
en 1853, progresse assez fortement, en particulier dans la Mitidja,
dans le Sahel et dans la plaine de Bel-Abbés.
" Il faut, disait Bugeaud, faire marcher de front la
colonisation arabe et la colonisation européenne " : idée
fort juste, mais qui ne fut pas toujours appliquée avec
discernement. Les bureaux arabes s'attachaient surtout à fixer les
indigènes au sol en leur faisant construire des maisons. On cite le
cas curieux d'un caïd du cercle de Philippeville qui a créé sur
les bords du Safsaf un hameau européen de six maisons, dans lequel
il a installé des familles allemandes, leur avançant les
instruments de culture, les semences et le cheptel ; son but était
d'initier ses propres fermiers aux procédés agricoles des
Européens. Des essais de constructions européennes pour les
indigènes sont faits par le capitaine Lapasset dans la région de
Ténès et d'Orléansville, par d'autres officiers dans la région
de Sétif. Dans la province d'Oran, les Gharabas ont construit des
maisons comprenant trois ou quatre pièces, avec une cour, un hangar
pour les animaux, un abri pour la paille. Chez l'agha des Gharabas,
la maison a un étage et comporte "un salon meublé à
l'européenne ". On parle de chefs qui ont édifié " des
maisons de plaisance princières ". On oublie d'ajouter qu'ils
n'habitent guère ces maisons élevées par ordre de l'autorité
française, que le plus souvent ils campent à côté et y logent
leurs chèvres. De larges concessions de terres sont aussi
accordées à des chefs indigènes; elles sont, comme les
concessions européennes, grevées de conditions : construction de
fermes, plantation d'arbres, installation d'un nombre déterminé de
familles, conditions qui, en l'absence d'un contrôle sérieux,
restèrent dans presque tous les cas inexécutées.
C'est à partir de cette époque que les Européens sont
définitivement acclimatés. De 1830 à 1856, le nombre des décès
l'avait emporté sur celui des naissances (87 000 contre 75 000) et
si la population européenne s'était accrue, c'était seulement
grâce à l'émigration.
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