La soumission de la Kabylie du
Djurjura par le maréchal Randon est le dernier acte de la
conquête. Désormais, tout le territoire de l'Algérie sera
administré par nous, paiera l'impôt, obéira à notre
autorité. Il y aura encore des insurrections, mais
localisées comme celle des Ouled-SidiCheikh, ou dues à des
circonstances tout à fait exceptionnelles comme
l'insurrection de 1871. Aucune ne mettra réellement en péril
notre domination.
La Kabylie de Djurjura est une région très accidentée,
aux pentes abruptes, au relief tourmenté. Peu de pays au
monde sont mieux défendus par les obstacles naturels et plus
difficilement accessibles. Dans toute l'Afrique du Nord, on ne
voit guère que certaines parties du Rif marocain qui puissent
à ce point de vue lui être comparées. Isolée entre la mer
et la grande chaîne du Djurjura, la Kabylie ne peut en somme
être abordée qu'en passant par le col des Beni-Aïcha (Ménerville),
puis par celui de Tizi-Ouzou. L'intérieur même du massif
kabyle est profondément entaillé par le fossé du Sebaou et
la dépression de Dra-el-Mizan ; enfin, entre chaque pâté
montagneux, entre chaque arête rocheuse, se creusent des
vallées étroites et profondes.
Là vit une population d'une densité extraordinaire et
telle qu'on n'en rencontre nulle part ailleurs dans l'Afrique
du Nord. Les villages ou taddert se succèdent d'une façon
presque continue le long de certaines crêtes, la ligne des
maisons et des toits n'étant interrompue que par les espaces
réservés aux cimetières. Cette population ajoute à la
culture des arbres à fruits, oliviers et figuiers, et aux
quelques ressources que lui procure une industrie
rudimentaire, la pratique de l'émigration temporaire, sans
laquelle elle ne pourrait se suffire. Elle est farouchement
attachée à son sol, où elle a trouvé un refuge contre les
invasions et où elle a maintenu envers et contre tous sa
langue particulière, que nous qualifions de berbère; son
vieux droit coutumier barbare, cristallisé dans les kanoun
et qui s'écarte sur bien des points des prescriptions du
Coran; ses petites assemblées municipales, les djemaâs,
composées des chefs de clan qu'on appelle en Kabylie les tamen,
les répondants.
Le gouvernement de la djemaâ, démocratique en apparence, est
en réalité dirigé par un petit nombre de vieillards ;
toute-puissante en principe, cette assemblée a des pouvoirs
réels très faibles, parce qu'elle évite de s'immiscer dans
les querelles de famille et qu'elle est elle-même déchirée
par les luttes des sofs ou partis. Les tamen
choisissent chaque année l'un d'entre eux, l'amin ou amrar,
quelquefois appelé ameksa, le berger; c'est un berger
auquel le troupeau n'obéit pas facilement et qui n'est en
somme que l'exécuteur des volontés de la djemaâ. |