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L'émotion fut grande à Tlemcen. La veuve de Ben-Abdallah accusa
l'agha des Ouled-Riah, Bel-Hadj, qu'une vieille inimitié séparait
du défunt, d'avoir été l'instigateur du guet-apens. Ben-Abdallah
avait beaucoup d'ennemis et il y avait eu des complots contre lui.
Il se sentait menacé et, comme on lui conseillait d'aller à Oran
à mule : « Non, avait-il répondu, je préfère la voiture, le
pays n'est pas sûr pour moi.» L'enquête faite aboutit à un
certain nombre d'arrestations, notamment celle d'un assassin de
profession nommé Maamar et du khodja ou secrétaire indigène de
Doineau. Les prévenus déclarèrent qu'ils avaient été poussés
au crime par le capitaine. D'après les uns, il avait seulement
participé à l'organisation de l'attentat; d'après d'autres, il
avait pris part à son exécution, déguisé en Arabe, le capuchon
cachant son visage. Doineau, arrêté à son tour, fut renvoyé avec
ses dix-huit coaccusés indigènes devant la Cour d'assises d'Oran.
Des jalousies entre les femmes des généraux qui commandaient à
Oran et à Tlemcen paraissent avoir contribué à envenimer
l'affaire. Le président de la Cour d'assises fit preuve d'une
partialité évidente. Bien qu'il fût à peu près impossible de se
reconnaître au milieu des contradictions des témoignages
indigènes, Doineau fut condamné à mort; sa peine fut commuée en
celle de la détention perpétuelle, qu'il subit à Douéra ; il fut
gracié quelques années après. Ayant pris du service en Espagne
pendant la guerre de cette puissance avec le Maroc, il se retira
ensuite à Cannes, où il participa à l'évasion de son ancien chef
Bazaine, lorsque celui-ci s'échappa de l'île Sainte-Marguerite. Le
capitaine Doineau mourut à Lille en 1914, âgé de quatre-vingt-dix
ans.
Doineau était-il coupable? « Dans ma conviction, dit du Barail,
il était innocent; il était trop intelligent pour avoir combiné
un guet-apens aussi inepte. » On releva contre lui de nombreuses
imprudences de langage ; en maintes circonstances, il avait exprimé
son désir de voir disparaître l'agha; les indigènes de son
entourage avaient pris ces propos pour une sorte d'invitation. On
reprochait par ailleurs à Doineau des exécutions arbitraires et
des malversations ; on trouva chez lui une somme d'argent, 22 000
francs environ, dont il ne put expliquer la provenance. Ce n'était
sans doute pas un assassin, mais ce n'était pas non plus une
conscience très délicate.
Cette cause célèbre, aujourd'hui quelque peu oubliée,
passionna l'opinion publique à cette époque. Elle fut moins le
procès de Doineau que celui des bureaux arabes. Dans une plaidoirie
enflammée, Jules Favre, défenseur de l'agha Bel-Hadj, s'en prit,
par-dessus la tête de l'accusé, à cette institution et fit de
l'affaire un simple épisode du système d'administration adopté
dans la colonie. « Si tous les bureaux arabes, dit-il, doivent
être jugés par celui de Tlemcen, il faut se hâter de les
supprimer ou de les réformer profondément. »
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