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  L'ALGÉRIE SOUS LE SECOND EMPIRE (1851-1870)  
     
   L'émotion fut grande à Tlemcen. La veuve de Ben-Abdallah accusa l'agha des Ouled-Riah, Bel-Hadj, qu'une vieille inimitié séparait du défunt, d'avoir été l'instigateur du guet-apens. Ben-Abdallah avait beaucoup d'ennemis et il y avait eu des complots contre lui. Il se sentait menacé et, comme on lui conseillait d'aller à Oran à mule : « Non, avait-il répondu, je préfère la voiture, le pays n'est pas sûr pour moi.» L'enquête faite aboutit à un certain nombre d'arrestations, notamment celle d'un assassin de profession nommé Maamar et du khodja ou secrétaire indigène de Doineau. Les prévenus déclarèrent qu'ils avaient été poussés au crime par le capitaine. D'après les uns, il avait seulement participé à l'organisation de l'attentat; d'après d'autres, il avait pris part à son exécution, déguisé en Arabe, le capuchon cachant son visage. Doineau, arrêté à son tour, fut renvoyé avec ses dix-huit coaccusés indigènes devant la Cour d'assises d'Oran. Des jalousies entre les femmes des généraux qui commandaient à Oran et à Tlemcen paraissent avoir contribué à envenimer l'affaire. Le président de la Cour d'assises fit preuve d'une partialité évidente. Bien qu'il fût à peu près impossible de se reconnaître au milieu des contradictions des témoignages indigènes, Doineau fut condamné à mort; sa peine fut commuée en celle de la détention perpétuelle, qu'il subit à Douéra ; il fut gracié quelques années après. Ayant pris du service en Espagne pendant la guerre de cette puissance avec le Maroc, il se retira ensuite à Cannes, où il participa à l'évasion de son ancien chef Bazaine, lorsque celui-ci s'échappa de l'île Sainte-Marguerite. Le capitaine Doineau mourut à Lille en 1914, âgé de quatre-vingt-dix ans.

Doineau était-il coupable? « Dans ma conviction, dit du Barail, il était innocent; il était trop intelligent pour avoir combiné un guet-apens aussi inepte. » On releva contre lui de nombreuses imprudences de langage ; en maintes circonstances, il avait exprimé son désir de voir disparaître l'agha; les indigènes de son entourage avaient pris ces propos pour une sorte d'invitation. On reprochait par ailleurs à Doineau des exécutions arbitraires et des malversations ; on trouva chez lui une somme d'argent, 22 000 francs environ, dont il ne put expliquer la provenance. Ce n'était sans doute pas un assassin, mais ce n'était pas non plus une conscience très délicate.

Cette cause célèbre, aujourd'hui quelque peu oubliée, passionna l'opinion publique à cette époque. Elle fut moins le procès de Doineau que celui des bureaux arabes. Dans une plaidoirie enflammée, Jules Favre, défenseur de l'agha Bel-Hadj, s'en prit, par-dessus la tête de l'accusé, à cette institution et fit de l'affaire un simple épisode du système d'administration adopté dans la colonie. « Si tous les bureaux arabes, dit-il, doivent être jugés par celui de Tlemcen, il faut se hâter de les supprimer ou de les réformer profondément. »

 
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