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  L'ALGÉRIE SOUS LE SECOND EMPIRE (1851-1870)  
     
   L'orateur s'indigna contre les exécutions sans jugement, en violation du droit des gens ; ces officiers, disait-il, maîtres de la vie et de la fortune de leurs administrés, abusent de leur pouvoir arbitraire et des fonds secrets mis à leur disposition : « L'exercice habituel de ce pouvoir discrétionnaire a conduit Doineau sur la pente fatale, jusqu'aux ténèbres où la voiture de l'agha Ben-Abdallah a été attaquée et les voyageurs massacrés. »

La campagne contre le gouvernement militaire et les bureaux arabes trouva un aliment dans l'affaire Doineau. Des abus s'étaient certainement introduits dans l'administration des affaires indigènes. La qualité du recrutement avait baissé et il y avait dans la nouvelle génération d'officiers des hommes comme Doineau, comme Bazaine, qui ne valaient pas ceux de la génération précédente, les Margueritte et les Lapasset. Or, le choix des hommes auxquels étaient laissés de si grands pouvoirs avait une importance extrême. Oublieux de l'arrêté de 1844 et des prescriptions de Bugeaud, les officiers des bureaux arabes s'étaient rendus indépendants du commandement. Le contact avec des chefs indigènes prévaricateurs avait parfois corrompu certains hommes de moralité médiocre. La vénalité est si habituelle chez les indigènes qu'il faut beaucoup de courage pour résister à certaines tentations.

C'est surtout l'administration de la justice par des officiers qui ne sont point des juges qui donnait lieu à des critiques très vives. Les crimes et délits commis en territoire militaire, même par des Européens, relevaient des conseils de guerre. Au début de l'occupation, le général en chef et après lui le gouverneur général pouvaient prendre toutes les mesures nécessaires à la sécurité du pays. En vertu de ces pouvoirs vagues et par conséquent très étendus, le gouverneur général, les officiers sous ses ordres et même nos agents musulmans frappaient les indigènes d'amendes individuelles ou collectives, d'emprisonnement, d'internement, d'expulsion, de séquestre. Une première tentative de réglementation avait été la circulaire de Bugeaud du 12 février 1844, qui fixait le chiffre maximum des amendes. Mais la prison et l'internement continuaient à être appliqués sur une vaste échelle sans que la sentence eût besoin d'être motivée, ni que la durée de l'internement fût limitée. Le pouvoir sans contrôle dont étaient investis les chefs de bureaux arabes les avaient parfois grisés. Alexandre Dumas raconte que l'un d'eux avait coutume, lorsqu'un indigène lui paraissait dangereux, d'appeler ses cavaliers et de leur dire, en portant sa main à sa gorge : « Conduisez cet homme au café maure». Cela signifiait qu'il fallait le faire disparaître. Dumas, dans son voyage à bord du Véloce, ayant demandé à visiter un café maure, l'officier machinalement fit le geste qui équivalait à un arrêt fatal. Par bonheur, les spahis demandèrent confirmation de l'ordre reçu.

 
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