L'orateur s'indigna contre les exécutions sans jugement, en
violation du droit des gens ; ces officiers, disait-il, maîtres de
la vie et de la fortune de leurs administrés, abusent de leur
pouvoir arbitraire et des fonds secrets mis à leur disposition : «
L'exercice habituel de ce pouvoir discrétionnaire a conduit Doineau
sur la pente fatale, jusqu'aux ténèbres où la voiture de l'agha
Ben-Abdallah a été attaquée et les voyageurs massacrés. »
La campagne contre le gouvernement militaire et les bureaux
arabes trouva un aliment dans l'affaire Doineau. Des abus s'étaient
certainement introduits dans l'administration des affaires
indigènes. La qualité du recrutement avait baissé et il y avait
dans la nouvelle génération d'officiers des hommes comme Doineau,
comme Bazaine, qui ne valaient pas ceux de la génération
précédente, les Margueritte et les Lapasset. Or, le choix des
hommes auxquels étaient laissés de si grands pouvoirs avait une
importance extrême. Oublieux de l'arrêté de 1844 et des
prescriptions de Bugeaud, les officiers des bureaux arabes
s'étaient rendus indépendants du commandement. Le contact avec des
chefs indigènes prévaricateurs avait parfois corrompu certains
hommes de moralité médiocre. La vénalité est si habituelle chez
les indigènes qu'il faut beaucoup de courage pour résister à
certaines tentations.
C'est surtout l'administration de la justice par des officiers
qui ne sont point des juges qui donnait lieu à des critiques très
vives. Les crimes et délits commis en territoire militaire, même
par des Européens, relevaient des conseils de guerre. Au début de
l'occupation, le général en chef et après lui le gouverneur
général pouvaient prendre toutes les mesures nécessaires à la
sécurité du pays. En vertu de ces pouvoirs vagues et par
conséquent très étendus, le gouverneur général, les officiers
sous ses ordres et même nos agents musulmans frappaient les
indigènes d'amendes individuelles ou collectives, d'emprisonnement,
d'internement, d'expulsion, de séquestre. Une première tentative
de réglementation avait été la circulaire de Bugeaud du 12
février 1844, qui fixait le chiffre maximum des amendes. Mais la
prison et l'internement continuaient à être appliqués sur une
vaste échelle sans que la sentence eût besoin d'être motivée, ni
que la durée de l'internement fût limitée. Le pouvoir sans
contrôle dont étaient investis les chefs de bureaux arabes les
avaient parfois grisés. Alexandre Dumas raconte que l'un d'eux
avait coutume, lorsqu'un indigène lui paraissait dangereux,
d'appeler ses cavaliers et de leur dire, en portant sa main à sa
gorge : « Conduisez cet homme au café maure». Cela signifiait
qu'il fallait le faire disparaître. Dumas, dans son voyage à bord
du Véloce, ayant demandé à visiter un café maure, l'officier
machinalement fit le geste qui équivalait à un arrêt fatal. Par
bonheur, les spahis demandèrent confirmation de l'ordre reçu.
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