C'est sans doute dans le domaine
de la légende qu'il faut reléguer aussi les anecdotes
concernant la manière dont les militaires s'acquittaient de
leurs fonctions d'officiers de l'état civil; celui-ci, se
référant à une édition du Code datant du Premier Empire,
la seule qu'il eût entre les mains, prononçait des
divorces ; tel autre, voyant des époux qu'il avait unis
faire mauvais ménage, arrachait tout simplement du registre
de l'état civil la feuille sur laquelle le mariage avait
été porté.
Il est clair que la justice sommaire et les pouvoirs
discrétionnaires avaient leur raison d'être dans la
période de la conquête, à l'époque de la lutte contre
Abdel-Kader. L'armée, en même temps qu'elle occupait les
régions où elle pénétrait, assurait tous les services,
la justice comme les autres. Mais les bureaux arabes, en
remplissant leur tâche, travaillaient à leur propre
suppression et rapprochaient le jour où ils abdiqueraient
entre les mains de l'autorité civile. « Les bureaux
arabes, disait Jules Duval, se sont fait une situation
contraire au développement de la colonisation européenne.
L'intelligence et le patriotisme de quelques officiers
peuvent bien triompher çà et là des intérêts de leur
position; mais de telles victoires sur soi-même ne
sauraient être fréquentes; car elles supposent la vertu
d'une haute abnégation. Aucun pouvoir, et surtout le
pouvoir absolu, n'aime à se voir amoindrir; or, tout
progrès de la colonisation amoindrit les bureaux arabes
militaires, si bien que, lorsque l'Algérie sera pleinement
colonisée, ils seront parfaitement inutiles, comme ils le
sont déjà en territoire civil.
Comment l'esprit de corps, ainsi menacé, ne lutterait-il
pas instinctivement ou sciemment contre la marée montante
de l'émigration et de la colonisation? En douter, ce serait
méconnaître les lois les plus certaines de la nature
humaine et nier l'évidence des faits. » |