On pensait qu'un si haut personnage obtiendrait beaucoup pour le
pays, briserait les mauvaises volontés et les résistances,
mettrait fin à l'arbitraire qu'on reprochait au régime militaire.
Le prince avait de bonnes intentions et prit en effet quelques
mesures heureuses. Mais ni lui ni ses conseillers ne connaissaient
l'Algérie. Ce fut bientôt un entassement de circulaires, un
déluge de projets qui aboutirent à un gâchis administratif
complet. Surtout, le ministre se heurta à la mauvaise volonté des
chefs militaires ; ceux-ci firent en particulier des observations
sur la suppression de la responsabilité collective des tribus et
sur l'institution des commissions disciplinaires, qui restreignaient
le pouvoir des officiers des bureaux arabes; des circulaires et des
décisions réitérées ne parvinrent pas plus à vaincre leur
résistance qu'à aplanir les difficultés pratiques. Martimprey,
commandant de la province d'Oran, ayant écrit au ministre à ce
sujet, reçut pour toute réponse une circulaire où le prince
incriminait la répugnance des militaires à marcher dans la voie
des réformes. Les officiers des affaires indigènes, en butte à
des attaques journalières, se décourageaient; on créa des bureaux
arabes civils, avec un personnel inexpérimenté, qui ne sut que
copier les défauts du régime auquel il succédait sans avoir ses
qualités.
Au bout de peu de temps, tous les services étaient
désorganisés, le mécontentement général. Le prince était trop
intelligent pour ne pas s'apercevoir promptement qu'il était
impossible d'administrer l'Algérie de loin. Assez versatile d'ail
leurs et peu capable d'un effort soutenu, il était plus
préoccupé, à cette époque, de son mariage et des affaires de
l'Italie que des questions algériennes. Il donna sa démission en
1859.
L'essai avait été trop court pour qu'on pût porter un jugement
définitif sur l'institution du ministère de l'Algérie; on le
maintint et on donna comme successeur au prince Napoléon le comte
de Chasseloup-Laubat. C'était un excellent choix. Ancien député
à l'Assemblée nationale, ancien ministre de la Marine et des
Colonies, président du Conseil d'administration de la Compagnie des
chemins de fer de l'Ouest, il avait fréquemment défendu l'Algérie
au Conseil d'État et dans les assemblées parlementaires; son
expérience des affaires lui donnait une situation importante au
Corps législatif. Il comprit que la première chose à faire pour
bien administrer l'Algérie, c'était de la connaître; il l'avait
visitée autrefois comme député; à peine ministre, il y revint;
si le prince Napoléon en avait fait autant, il aurait sûrement
évité bien des erreurs.
La politique de Chasseloup-Laubat s'opposa sur bien des points à
celle du prince Napoléon. Cependant il ne pouvait ni ne voulait
bouleverser de fond en comble une oeuvre qu'il s'agissait de juger
à ses résultats.
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