Mais, très jaloux de ses prérogatives,
quoique ne les exerçant pas, il n'en déléguait aucune et
ses subordonnés, pour échapper aux éclats de ses
terribles colères, se gardaient bien d'imprimer aux choses
de la colonie une impulsion qu'il était incapable de leur
donner. "
Pélissier avait d'excellentes intentions et des idées très sages,
les idées d'un élève de Bugeaud. Dans une circulaire du 16 avril
1861, il faisait appel à la concorde des autorités civiles et
militaires : " Le gouvernement de l'Algérie, disait-il, a une
mission essentiellement civile, il ne déviera pas de ce but entre
mes mains. " Quoique la récolte de 1861 eût été fort
mauvaise, le commerce, l'industrie, l'agriculture prirent un certain
essor. L'Algérie figura avec honneur à l'Exposition universelle de
Londres en 1862; on déclara que sa section était la plus
intéressante avec celle de l'Australie par le nombre, la variété,
la beauté des produits. Pélissier demanda et obtint un crédit de
2 500 000 francs pour achever la construction de la voie ferrée
d'Alger à Blida, qui fut ouverte au trafic en 1862. La Compagnie
qui s'était constituée en 1860 en vue de la construction et de
l'exploitation du réseau algérien s'étant montrée impuissante à
remplir ses engagements, ce réseau fut rétrocédé à la Compagnie
Paris-Lyon-Méditerranée par la loi du 7 avril 1863; la concession
devait avoir une durée de 99 ans, la Compagnie recevait une
subvention de 80 millions et une garantie d'intérêt pour 80 autres
millions.
Pélissier était nettement partisan de la colonisation; ses vues
en cette matière étaient celles de Bugeaud. Dans un banquet au
gouvernement général, un des convives ayant porté un toast au
vainqueur de Sébastopol, le maréchal répondit : " Il est une
oeuvre aussi méritoire et non moins difficile peut-être que de
prendre Sébastopol : c'est de développer par la colonisation les
éléments de prospérité de l'Algérie. Cette oeuvre, j'aspire à
l'accomplir et si j'y réussis comme je l'espère, j'aurai réalisé
le plus cher de mes vœux. " Un jour, on le vit donner un
exemple singulier et qui touchait presque au scandale; des
pétitions circulaient contre les projets de royaume arabe qu'on
prêtait à l'Empereur: le gouverneur général sortit de son palais
à pied, en grand uniforme, et alla rue Bab-Azzoun signer la
pétition, pour montrer par un éclat public quelles étaient ses
préférences.
La question foncière se posait à nouveau si l'on voulait
poursuivre et développer la colonisation européenne. Le
cantonnement paraissait fournir la solution cherchée; tout en
laissant aux indigènes une quantité de terres plus que suffisante,
en fixant sur les terres leurs droits jusque-là mal définis et qui
les mettaient à la discrétion des chefs, en constituant sur ce qui
leur était laissé la propriété familiale, on en aurait prélevé
une part, qui eût pu être concédée ou vendue aux Européens;
jusque-là, le cantonnement était pratiqué en vertu de simples
instructions administratives et l'absence de toute disposition
légale n'était pas sans occasionner de multiples difficultés.
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