Aussi est-ce d'un consentement unanime que le projet de cantonnement
soumis au Conseil d'État a été retiré. Aujourd'hui, il faut
faire davantage, convaincre les Arabes que nous ne sommes pas venus
en Algérie pour les opprimer et les spolier, mais pour leur
apporter les bienfaits de la civilisation.
Cherchons par tous les moyens à nous concilier cette race
intelligente, fière, guerrière et agricole. La loi de 1851 avait
consacré les droits de propriété et de jouissance existant au
temps de la conquête; mais la jouissance mal définie était
demeurée incertaine. Le moment est venu de sortir de cette
situation précaire. Le territoire des tribus une fois reconnu, on
le divisera par douars, ce qui permettra plus tard à l'initiative
prudente de l'administration d'arriver à la propriété
individuelle. Maîtres incommutables de leur sol, les indigènes
pourront en disposer à leur gré et de la multiplicité des
transactions naîtront entre eux et les colons des rapports
journaliers plus efficaces pour les amener à notre civilisation que
toutes les mesures coercitives.
" La terre d'Afrique est assez vaste, les ressources à y
développer sont assez nombreuses pour que chacun puisse y trouver
place et donner un libre essor à son activité, suivant sa nature,
ses mœurs et ses besoins. Aux indigènes l'élevage des chevaux et
du bétail, les cultures naturelles du sol. A l'activité et à
l'intelligence européennes l'exploitation des forêts et des mines,
les dessèchements, les irrigations, l'introduction de cultures
perfectionnées, l'importation de ces industries qui précèdent ou
accompagnent toujours les progrès de l'agriculture. Au gouvernement
local le soin des intérêts généraux, le développement du
bien-être moral par l'éducation, du bien-être matériel par les
travaux publics. A lui le devoir de supprimer les réglementations
inutiles et de laisser aux transactions la plus entière liberté.
En outre, il favorisera les associations de capitaux européens, en
négligeant désormais de se faire entrepreneur d'émigration et de
colonisation, comme de soutenir faiblement des individus sans
ressources, attirés par des concessions gratuites.
" Voilà, Monsieur le Maréchal, la voie à suivre
résolument, car, je le répète, l'Algérie n'est pas une colonie
proprement dite, mais un royaume arabe. Les indigènes ont, comme
les colons, un droit égal à ma protection, et je suis aussi bien
l'empereur des Arabes que l'empereur des Français.
Cette lettre témoignait d'un état d'esprit nettement défavorable
à la colonisation de peuplement. Plus de concessions gratuites,
plus de colons pauvres, plus d'intervention administrative. Qu'on
laisse faire les capitaux et que l'élément européen se confine
dans le rôle de banquier, d'industriel, d'ingénieur ou
d'initiateur de cultures spéciales; les cultures alimentaires et le
sol qui les porte doivent rester aux indigènes.
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