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Pour la colonisation, si elle n'a pas prospéré autant qu'on
pouvait le désirer, c'est qu'on s'est écarté des vrais principes
de l'économie politique, à savoir la liberté des transactions
commerciales et industrielles, l'organisation du crédit, la
concentration de la population dans des lieux propices, la
simplification de l'administration et le développement des travaux
publics. L' Empereur suggère de concentrer la population
européenne sur le littoral; autour des chefs-lieux, au lieu de
l'éparpiller sur toute la surface du territoire ; il désapprouve
la création artificielle de centres européens et les concessions
gratuites. Quant à l'occupation militaire, s'appuyant sur
l'autorité de Bugeaud, il recommande de réduire autant que
possible le nombre des postes, de ne confier les fonctions
délicates de chefs de bureau arabe qu'à des officiers
expérimentés, de les subordonner au commandement, de leur demander
moins d'administration et plus de politique; d'augmenter le nombre
et l'effectif des bataillons de turcos : " En réalisant ce
programme, conclut l'Empereur, nous obtiendrons, je l'espère,
l'apaisement des passions et la satisfaction des intérêts.
L'Algérie ne sera plus alors un fardeau pour nous, mais un nouvel
élément de force. Les Arabes, contenus et réconciliés, nous
donneront ce qu'ils peuvent nous donner le mieux, des soldats; et la
colonie, devenue florissante par le développement de ses richesses
territoriales, créera un mouvement commercial éminemment favorable
à la métropole. "
La Lettre de l'Empereur renferme un certain nombre
d'idées justes et de vues intéressantes, bien que parfois un peu
confuses. Peut-être Urbain y a-t-il collaboré; on y reconnaît
cependant le style un peu pâteux et rempli de germanismes de
l'impérial écrivain. C'est la brochure d'un publiciste plutôt que
d'un chef d'État. La formule désormais célèbre : "
L'Algérie est un royaume arabe, une colonie européenne et un camp
français " n'est pas très heureuse, quoiqu'elle se comprenne
mieux si on la replace dans l'ensemble du texte. La vérité est que
l'Algérie est une colonie française à la prospérité de laquelle
doivent collaborer les colons, les indigènes et l'armée. L'
Empereur ne voyait guère que l'intérêt indigène et l'intérêt
militaire; la colonisation ne fut jamais pour lui une conviction.
La lettre de l'Empereur fut accueillie très froidement, aussi bien
en France qu'en Algérie. Les colons, dont Warnier et Jules Duval
étaient les porte-parole, protestèrent énergiquement. Le duc
d'Aumale, dans une brochure anonyme, joignit ses critiques aux
leurs. Il fit remarquer qu'il était curieux de voir le souverain
prendre le rôle de l'opposition et dénoncer les erreurs de son
gouvernement, les fautes de ses agents; il estimait que, sur
beaucoup de points, l'Empereur avait jugé trop vite; le prestige
exercé sur lui par les hauts barons de la société arabe lui
paraissait exagéré :
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