Mgr Lavigerie occupait alors le
siège d'Alger, qui venait d'être érigé en archevêché;
il en avait pris possession en 1867 et devait y rester
jusqu'à sa mort, survenue en 1892. Né à Bayonne en 1825,
il était devenu en 1856 directeur de l'œuvre des Écoles
d'Orient; à ce titre, il était allé en Syrie après les
massacres du Liban et avait eu à Damas une entrevue avec
Abd-el-Kader, qu'il remercia d'avoir sauvé tant de vies
humaines au moment des massacres de 1860 ; puis il avait
été nommé évêque à Nancy à trente-huit ans. Le
maréchal de Mac-Mahon, qui l'avait connu dans cette ville,
voulut le donner comme successeur à Mgr Pavy qui venait de
mourir. L'Empereur hésitait : « Je ne comprends pas,
dit-il plusieurs fois au maréchal, pourquoi vous tenez tant
à avoir Mgr Lavigerie ; c'est un évêque trop ardent, il
manque de mesure, vous ne ferez pas bon ménage avec lui. »
Quel que soit le jugement que l'on porte sur l'homme, sur
le prélat, sur l'écrivain, on ne peut nier que Lavigerie
n'ait fait ou du moins entrepris de grandes choses. Il fut
avant tout un homme d'action : «Je suis, disait-il, le
serviteur d'un maître qu'on n'a pu renfermer dans un
tombeau. » Le célèbre portrait de Bonnat le représente
tel qu'il était à la fin de sa vie, le teint basané, la
barbe toute blanche. Il se plaignait que le peintre l'eût
représenté assis dans un fauteuil, devant une table
chargée de livres ; il eût voulu être figuré debout,
montrant du geste les terres nouvelles et les horizons
inconnus vers lesquels il était toujours prêt à
s'élancer. Lavigerie est une des grandes figures de notre
histoire coloniale. « A une époque où personne ne pensait
à l'Afrique, a dit M. Jules Cambon, il a voulu la
conquérir à la France et à la civilisation. Il a été
bon Français et bon Européen, précurseur de tous ces
hardis voyageurs, de ces marins, de ces soldats qui
donneront au dix-neuvième siècle quelque chose de la
gloire des conquérants du nouveau monde. » |