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A son arrivée à Alger, le général Esterhazy fut accueilli par
des cris et des injures. Le lendemain, ayant voulu se rendre au
café de Bordeaux, situé sur la place du Gouvernement, il fut
assailli par la foule, qui se rua sur son aide de camp et lui
arracha ses épaulettes; le palais fut envahi par l'émeute, qui
exigeait que le général s'embarquât immédiatement pour la France
; il résista d'abord, mais, n'ayant aucune force à sa disposition,
il finit par céder; il eut peine à atteindre la Marine au milieu
d'une foule hurlante, composée en grande partie d'étrangers.
Vuillermoz télégraphia à Gambetta : " Aujourd'hui, à une
heure, population Alger et garde nationale, par mouvement spontané
et irrésistible, ont mis fin au gouvernement militaire. "
L'irritation du Comité de défense se tourna contre le préfet
Warnier ; lui aussi, en présence de l'attitude menaçante d'une
partie de la population, dut donner sa démission (29 octobre). Le
général Lichtlin, qui devait remplacer le général Esterhazy, ne
put pas plus que lui prendre possession de ses fonctions. Il fut
forcé de se réfugier à l'amirauté, sous la protection de
l'amiral Fabre de La Maurelle, qui seul, dans ces tristes jours,
montra beaucoup d'énergie; il fit descendre à terre 100 matelots
et deux obusiers de montagne; cette mesure suffit à empêcher les
émeutes de se renouveler. Un mouvement semblable à celui d'Alger
s'était produit à Oran, où le général Saurin, chargé de
l'intérim de la division, avait été forcé de se retirer pour
éviter l'effusion de sang (30 octobre).
Débarrassé du gouverneur général et du préfet, le
Comité-conseil d'Alger, resté seul maître du terrain, s'arrogea
une véritable dictature. Il révoqua des fonctionnaires, en
emprisonna plusieurs, notamment le commissaire central, le colonel
de gendarmerie et le premier président. Une commission
d'organisation communale fut instituée à Alger; elle se composait
de membres élus par le Conseil, auxquels devaient s'adjoindre des
délégués de toute l'Algérie; Vuillermoz s'investit lui-même des
fonctions de commissaire civil extraordinaire par intérim (8
novembre). Un appel fut fait aux Comités de défense des autres
villes de l'Algérie pour les engager à approuver ces mesures
révolutionnaires et à s'y associer. Beaucoup de Comités et
plusieurs municipalités donnèrent leur adhésion, mais d'autres
résistèrent énergiquement, notamment Constantine, sous
l'impulsion de M. Lucet et Bône, sous celle du sous-préfet M.
Lambert. Le gouvernement de Tours maintint ses prérogatives et le
mouvement communiste avorta.
L'affolement, la désorganisation générale constituaient
peut-être des circonstances atténuantes aux actes et aux paroles
des comités révolutionnaires, mais ce qui est certain, c'est que
ces scènes de désordre, où tombait en lambeaux le prestige de
l'autorité, du commandement militaire surtout, produisirent sur les
indigènes un effet lamentable.
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